Page:Revue des Deux Mondes - 1833 - tome 1.djvu/112

Cette page a été validée par deux contributeurs.
106
REVUE DES DEUX MONDES.

Et ils vont s’asseoir sous les tilleuls, et ils causent néo-christianisme. Vous concevez que, dans cette conversation, le vieillard de la préface du Manuscrit vert ne joue que le second rôle. Il est là seulement pour dire de temps à autre à M. Gustave Drouineau : — Continuez, jeune homme ! je vous écoute avec intérêt ; — ou bien : — Vous avez raison, jeune homme ! — Jeune homme, vos déductions me semblent logiques. — Vous m’avez convaincu, jeune homme. En un mot, pour donner la réplique et représenter l’adhésion et l’assentiment des peuples, vous voyez que M. Gustave Drouineau, qui représente de son côté le néo-christianisme, se donne ainsi beau jeu dans la discussion.

C’est le propre de toutes les religions nouvelles, de dénigrer les religions rivales ; aussi le néo-christianisme traite-t-il fort cavalièrement le fouriérisme et le saint-simonisme, ce qui nous paraît souverainement partial et injuste, attendu que, sur une foule de points, et en ce qui concerne surtout l’emploi des capacités et leur vérification par les concours, l’élection et les jurys, les néo-chrétiens procèdent presque absolument de la même façon que les saint-simoniens et les fouriéristes.

Au surplus, ce qui caractérise essentiellement le néo-christianisme, ce qui lui vaudra les bénédictions et la reconnaissance des associations gauloises et des sociétés d’amis du peuple de tous les siècles, ce sera la réforme radicale qu’il promet d’introduire dans la police.

« La police, s’écrie le néo-christianisme, la police, qui de nos jours procède hostilement et se pose en ennemie, changera de physionomie et d’attitude. Au lieu d’être immorale, elle sera morale. »

Ainsi, voilà qui est bien entendu. Dans la société néo-chrétienne, les gardes municipaux seront de timides militaires rougissant ainsi que des jeunes filles ; les mouchards, d’honnêtes gens, des hommes de bonne compagnie, des fonctionnaires publics remplis de délicatesse ; les sergens de ville, de doucereux et inoffensifs personnages, des manières de maîtres de cérémonie ; quant à M. Vidocq, il sera immanquablement caissier général du trésor et grand-officier de la légion-d’honneur.

Cet échantillon des réformes projetées par les nouveaux chrétiens, suffit pour que vous jugiez de l’aménité des mœurs, de l’exquise politesse et de la probité qui règneront sur la terre après l’avènement définitif de leur néo-christianisme.

Ici, et pour conclure, c’est le cas, ce nous semble, de jeter un regard en arrière sur nos religions nouvelles, d’en arrêter l’état et d’examiner sommairement en quelle situation l’année 1832 les lègue à son héritière. Faisons donc un rappel et comptons.

Nous avons, si je ne me trompe, le saint-simonisme, le fouriérisme, l’amable-belléisme, le bernardisme, et le néo-christianisme ; en tout, cinq religions bien distinctes.

Le saint-simonisme et le fouriérisme sont évidemment en progrès. Le saint-simonisme a subi déjà son martyre et s’est laissé crucifier à la cour d’assises. Le saint-simonisme a envoyé ses apôtres