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un livre de luxe, elles semblent manquer de finesse et de légèreté, et luttent ainsi avec trop de désavantage contre les vignettes anglaises.

Parmi les nombreux keepsakes de cette année, il en est un qui a fait récemment quelque bruit dans le monde politique. Celui-là, ce n’était pas le Nouveau Keepsake français ; c’était le Keepsake français tout uniment. Or, se séparant avec éclat de la famille des almanachs, famille essentiellement ministérielle et amie des royautés de fait, ce Keepsake français avait arboré, au son des fanfares de la Gazette, le drapeau de la légitimité, et s’était dédié corps et âme à la prisonnière de Blaye. Là-dessus grand scandale. Les noms poétiques qui marchaient sous la blanche bannière de ce keepsake, hurlaient disait-on, de se rencontrer ensemble. Qu’allaient faire, s’écriait-on, au château de Blaye MM. Alexandre Dumas et Casimir Delavigne, en la compagnie de M. le comte Jules de Resseguier et de M. le vicomte de Châteaubriand ? — Moi qui sais les aventures de ce keepsake, je vais vous les conter, et vous allez voir que si ces messieurs vont à Blaye, ce n’est nullement la faute de la plupart d’entre eux. Sachez d’abord que ce nouveau keepsake est un très vieux keepsake ; c’est un keepsake né en mil huit cent trente ; ce fut donc d’abord un keepsake de juillet, un keepsake des barricades ; ce fut un keepsake citoyen, un keepsake philippiste, un keepsake qui, en naissant, ne crut pouvoir mieux faire que de se dédier à Marie-Amélie, reine des Français. Malheureusement cette dédicace ne fit point la fortune du pauvre keepsake. Ce fut peut-être à cause de sa maladresse ; peut-être ne sut-il pas suffisamment prouver qu’il avait renversé l’ancienne monarchie et consolidé la nouvelle. Que ne demandait-il des conseils à M. Cousin, à l’heure qu’il est l’un de nos pairs de France ? Il ne le fit point sans doute. Toujours est-il que la révolution de juillet ne fut nullement prospère au keepsake français.

Il ne se vendit point. C’était pourtant un beau keepsake. C’était un keepsake orné de vingt magnifiques vignettes anglaises, et d’un portrait de la reine, avec accompagnement de poésies libérales et républicaines. Tout cela ne lui servit de rien. Encore une fois, il ne se vendit point. Le malheureux keepsake attendit deux ans sans se plaindre. Mais enfin il perdit patience. Un beau matin, il avisa qu’il aurait plus de chance, s’il changeait de drapeau et faisait volte-face. Arrachant donc de son frontispice le portrait de la reine des Français, il y substitua celui de madame la duchesse de Berry. Il se dédia à la mère de Henri v, avec tout le bagage de ses noms révolutionnaires, surchargé de quelques noms légitimistes des plus significatifs. Voilà l’histoire de ce keepsake français, et cette histoire n’a rien de bien surprenant. C’est exactement aussi, ce me semble, celle de M. de Salvandy, le conseiller d’état. Le Keepsake français et M. de Salvandy ont vogué de conserve et ont tenu même conduite politique. Le Keepsake et M. de Salvandy s’étaient également dédiés à la nouvelle dynastie. Il lui avaient dévoué l’un sa poésie prosaïque, l’autre sa prose poétique. Cela leur valut à