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REVUE. — CHRONIQUE.

par elle avec une finesse d’intention parfaite et une admirable chasteté. Cette seconde épreuve est décisive. Il est maintenant évident que madame Dorval est comédienne aussi accomplie qu’elle est grande tragédienne. Sa place est désormais doublement marquée au premier rang.

De même qu’il gèle, de même qu’il fait du brouillard en décembre, en décembre il pleut inévitablement aussi des almanachs et des keepsakes. C’est la température littéraire de la saison. Prenons donc la littérature et le temps comme ils viennent. Prenons les almanachs et les keepsakes comme on nous les donne.

Les keepsakes sont nés en Angleterre. En France, ce sont des étrangers arrivés tout récemment ; aussi leur condition est-elle bien différente dans les deux pays. Ainsi, chez nos voisins, les poètes de keepsakes sont des poètes aristocrates, des poètes grands seigneurs. Ils envoient leur poésie telle quelle, et ce sont les graveurs qui sont chargés de l’illustrer par de magnifiques vignettes. Chez nous, le procédé est fort différent. Les poètes de nos keepsakes sont de pauvres petits poètes bourgeois et citoyens, avec lesquels on en use tout-à-fait familièrement et sans façon ! Voici par exemple comment on s’y prend avec eux. L’éditeur fait venir de Londres un certain nombre de vignettes empruntées à des almanachs anglais. Alors il convoque ses poètes, et les poètes venus, il leur dit : Illustrez-moi ces vignettes avec votre poésie. Et les poètes se mettent à l’œuvre, et illustrent les vignettes de leur mieux. C’est de cette façon que l’on nous a fabriqué les Annales romantiques, le Nouveau Keepsake français, la Perle, les Femmes littéraires et les Soirées littéraires de Paris[1]. Charmans recueils qui n’ont d’autre tort que celui de nous offrir un texte fait d’après des gravures, et en général fort inférieur à elles. Ce tort est-il bien au surplus celui de l’éditeur ? Oh ! non pas. Il est le nôtre assurément. Nous voulons en France, sinon un gouvernement, du moins des almanachs à bon marché, et l’on nous sert en conséquence.

Il serait d’ailleurs bien injuste de proscrire indistinctement toutes les pièces que renferment ces jolis volumes. Empressons-nous, au contraire, de le reconnaître : principalement parmi celles qui ne servent point d’illustrations aux vignettes, il s’en trouve de véritablement remarquables ; et dans les Soirées littéraires de Paris, recueil publié par madame Amable Tastu, entre autres excellens morceaux, nous avons lu surtout avec bonheur le Desir de M. Sainte-Beuve et un délicieux sonnet de madame Marie Nodier-Ménessier.

Un recueil plus complètement littéraire s’est produit aussi modestement avec les almanachs, et ne mérite pourtant pas d’être confondu dans leur foule ; c’est l’Album de la mode. Cet album se recommande hautement par les pages brillantes et les contes spirituels dont MM. Eugène Sue et Alexandre Dumas l’ont enrichi. Quant à ses illustrations lithographiques, bien que dues au crayon de nos meilleurs artistes, placées comme elles sont dans

  1. Chez Janet.