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La population ne diminue point par la raison toute simple que les mariages se font, pour ainsi dire, au sortir de l’enfance, et que, dans un temps donné, il y a relativement au nombre des habitans, beaucoup plus de naissances que dans un pays sain. Mais si le nombre des individus peut être le même dans les deux pays, il s’en faut que leur valeur soit la même. Ici ce sont des individus chétifs, infirmes, très souvent malades, dont beaucoup meurent avant de rien produire, et sont, si on peut le dire, comme des capitaux qui se perdent en mer. Là ce sont, au contraire, des hommes valides, robustes, qui vivent une pleine vie, ou dont le travail, du moins, dure tout le temps nécessaire pour profiter à eux-mêmes et à leur famille.

« Dans le second cas, c’est-à-dire lorsqu’elle apparaît tout-à-coup dans un lieu qu’elle n’avait pas coutume de ravager, ou même qu’elle sévit avec une rigueur extraordinaire dans une contrée qui n’en était pas entièrement exempte, il se fait un vide sensible dans la population, et, immédiatement après, on remarque parmi ceux qui restent une quantité extraordinaire de naissances, qui tient non-seulement à l’accroissement proportionnel qui a lieu dans le nombre des mariages, mais encore à ce que des unions dont on n’attendait plus d’enfans redeviennent fécondes. De plus, il y a diminution dans le nombre des morts, non-seulement diminution absolue, ce qui est tout simple, puisqu’il y a moins d’habitans, mais encore diminution proportionnelle, comme si véritablement les hommes étaient devenus plus vivaces. Il y a long-temps qu’on a fait cette remarque, et l’on en a conclu que les grandes épidémies sont en général suivies d’une grande époque de salubrité ; mais cette salubrité n’est, on peut le dire, qu’apparente. En effet, d’une part, la maladie, enlevant en général les individus malingres et ceux qui sont affaiblis par de grandes privations, laisse plus grande, dans ce qui reste, la proportion des hommes robustes et aisés ; de plus, comme elle fait de la place, elle donne plus de moyens d’existence aux survivans ; elle améliore, comme le dit Malthus, au moins pour quelque temps, la condition de la classe laborieuse. Or, ce dernier changement, quelle qu’en soit la cause, exerce toujours, comme on le sait, une influence marquée sur la longévité aussi bien que sur le nombre des naissances. »