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blir les mœurs. Durant mon séjour en Amérique, il ne m’est pas arrivé de rencontrer un homme de lettres qui mâchât du tabac et s’enivrât de whiskey ; mais en revanche il ne m’est pas arrivé de rencontrer, hors de cette classe, un seul Américain qui eût échappé à ces habitudes dégradantes. Cette influence est encore plus grande, s’il est possible, sur les femmes. Malheureusement, le goût des lettres est chose peu commune chez les Américaines, et pour en trouver des exemples, il faut bien chercher. J’en ai rencontré un vraiment admirable dans une jeune dame de Cincinnati. Entourée d’une société absolument incapable de l’apprécier et même de la comprendre, elle vivait au milieu de ce monde avec autant de simplicité et d’aisance, que s’il eût été composé d’êtres de son espèce. Jeune et belle, douée par la nature d’un esprit vif et d’un jugement pénétrant, elle avait eu le bonheur de trouver dans sa famille tous les moyens de cultiver les heureuses dispositions de son intelligence. Fille d’un homme de lettres qui l’avait associée à ses études avec la tendresse d’un père et la confiance d’un ami, elle avait reçu de bonne heure ces leçons de goût et ces habitudes de pensée qu’il est difficile de puiser au même degré dans une autre situation. Cette jeune dame était d’autant plus admirable, que ses études chéries ne la dérobaient à aucun des devoirs nombreux imposés aux femmes américaines. Compagne utile et assidue des travaux littéraires de son père, collaboratrice active de sa mère dans tous les soins du ménage, gouvernante attentive et tendre de l’enfant malade de sa sœur, faisant à elle seule tous les frais de son élégante garde-robe, ayant toujours avec cela du temps de reste, et toujours prête à recevoir avec la gaîté la plus aimable ses nombreuses connaissances, la plus animée dans la conversation, la plus infatigable au travail, il était impossible de la voir et d’étudier son caractère, sans comprendre que de telles femmes sont la gloire de tous les pays, et que, si l’espèce pouvait s’en multiplier en Amérique, elles ne tarderaient pas à y effacer jusqu’au dernier vestige de cette grossièreté d’habitude et de cette ignorance qui la dégradent. Imaginez dans un salon une cinquantaine de copies de ce charmant modèle, et demandez-vous après, si les hommes oseraient s’y présenter, les vêtemens parfumés de wiskey, les lèvres jaunies par le tabac, et l’esprit convaincu que les femmes ne sont ici bas que pour faire des confitures, coudre des chemises, raccommoder des bas, et mettre au monde des présidens possibles ? Assurément non ; le jour où les Américaines découvriront quelle influence il leur appartient d’exercer, et qu’elles la compareront avec celle qu’elles exercent, ce jour-là il y aura quelque chose à espérer pour la civilisation de leur pays. Je n’ai pu vivre à Philadel-