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MŒURS DES AMÉRICAINS.

et profitable ; mais quant aux heures de récréation, à ces heures qui s’écoulent pour nous dans les jouissances des plaisirs réunis de l’art et de la nature, à ces heures dont la présence de la beauté et l’élégance des manières rachètent les excès passagers ; quant à ces heures, elles m’appartiennent, et j’ai le droit d’examiner ce qu’en font les Américains. Les dîners même ne sauraient être comparés dans les deux pays : des Américains m’ont dit qu’ils ne pouvaient y apercevoir aucune différence ; mais d’abord il est très-rare qu’on dîne en société aux États-Unis ailleurs que dans les tavernes et les pensions bourgeoises ; et de plus, tout le plaisir se réduit à manger avec la plus grande rapidité possible et dans le plus profond silence. Des Américains m’ont avoué que l’heure de la plus haute volupté gastronomique pour les hommes était celle où un verre de genièvre ou de punch aux œufs puisait dans l’absence de toute contrainte, et par conséquent des femmes, son plus haut degré de saveur.

« Malgré tout cela, les États-Unis sont un beau pays, digne d’être visité par mille raisons. Sur ces mille raisons, neuf cent quatre-vingt-dix-neuf sont tirées de ses mérites même ; le millième pour moi est l’attachement plus grand qu’il m’inspire pour le mien. »


Mistress Trollope cherche les causes de cette absence de goût et d’élégance, et la trouve dans le rôle subalterne, pour ne pas dire servile, auquel les femmes sont condamnées en Amérique, et principalement dans l’éloignement où leurs maris les tiennent de tous leurs plaisirs. Continuons de citer.


« Les dispositions pour le souper me parurent très-singulières et caractérisent éminemment le pays. Une table magnifiquement servie dans une vaste salle attendait les hommes ; ils allèrent y prendre place. Les femmes restèrent dans la salle de danse, et bientôt on leur apporta à chacune une assiette. Elles continuèrent de se promener tristement cette assiette à la main, pendant qu’on était occupé des hommes. À la fin, des domestiques parurent avec des pyramides de sucreries, des gâteaux et des crèmes. Alors toute la troupe s’assit sur une file de chaises placées le long des murs, et chacune faisant une table de ses genoux commença à manger d’un air triste et ennuyé.

« Le contraste de ces pauvres femmes abandonnées et de leur maigre souper, avec le splendide festin et la salle éclatante de lumières réservée aux hommes, était aussi absurde que comique.

« J’appris que je ne devais attribuer cet arrangement ni à des vues d’é-