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rai encore moins l’air de supériorité satisfaite avec lequel, la démonstration finie, il plaça son pied sur le marbre de la cheminée, et se mit à siffler le Yankee doodle. »


On comprend aisément que cette exclusive préoccupation d’eux-mêmes, et ce mépris pour tout ce qui est étranger, fassent des Américains un peuple peu aimable. Ainsi l’a trouvé notre voyageuse, qui s’en plaint en mille endroits.


« Le défaut d’intérêt, de sensibilité, de chaleur d’ame pour tout ce qui ne touche pas immédiatement à leur intérêt particulier, est universel parmi les Américains, et paralyse toute espèce de conversation. Tout l’enthousiasme de l’Amérique est concentré sur un seul point, son émancipation et son indépendance ; à cet égard, rien ne peut surpasser la vivacité de ses sentimens. L’Amérique ressemble à une jeune mariée, qui n’a d’yeux, d’oreilles et de cœur que pour son mari, et pour qui le reste est indifférent. La lune de miel n’est pas encore écoulée ; quand elle le sera, l’Amérique apprendra peut-être la coquetterie, et saura mieux se rendre aimable aux autres nations. »


Après la vanité, l’amour de l’argent est, aux yeux de mistress Trollope, le trait le plus saillant du caractère américain : elle développe fort au long, et les causes qui rendent aux États-Unis cette passion si universelle et si ardente, et toutes les conséquences bonnes et mauvaises qu’elle engendre. Nous allons extraire quelques passages de son livre sur ce sujet important.


« Je ne partage pas, dit quelque part mistress Trollope, l’opinion de ceux qui regardent Cincinnati comme une des merveilles du monde ; mais quand on songe que le sol où elle s’élève était encore une forêt vierge il y a trente ans, on ne peut s’empêcher d’admirer son étendue et son importance. Cette ville croît, pour ainsi dire, à vue d’œil, et chaque mois ajoute à sa grandeur et à ses richesses.

« En cherchant la cause de cette rapide transformation d’un repaire de bêtes sauvages en une cité populeuse, les économistes indigènes n’hésitent pas à en faire honneur aux institutions républicaines. Mais, sans être profonde en ces matières, j’en trouve une explication plus naturelle dans le double fait de la nécessité du travail, et de l’impossibilité de la paresse en un tel pays. Pendant un séjour de près de deux ans que j’ai fait à Cincinnati, je puis dire que je n’y ai jamais vu ni un mendiant, ni un homme assez aisé pour se livrer au repos. Toutes les abeilles de cette