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MŒURS DES AMÉRICAINS.

trouvaient souvent circonscrites dans un étroit rayon, par l’avis de nos amis qui connaissaient le pays. Quand nous en demandâmes la raison, on nous répondit : « Il y a une auberge sur la route, et il ne serait pas prudent de pousser jusque-là. »

« Le canal de la Chesapeak à l’Ohio passait à quelques milles de l’habitation de mistress S… Il arriva deux fois, durant le séjour que nous y fîmes, que des cadavres furent trouvés dans le voisinage ; on parlait de ces événemens comme de choses très-ordinaires. Un jour que je demandais des détails : « Oh ! probablement il a été assassiné, me dit-on ; ou peut-être est-il mort de la fièvre du canal ; on dit au reste que le cadavre porte des marques de strangulation. » Aucune enquête ne fut ordonnée, et la sensation ne fut pas plus grande que si le cadavre trouvé eût été celui d’un mouton. »


Cette négligence dans la répression des délits et des crimes vient de plusieurs causes ; mistress Trollope signale d’abord la facilité avec laquelle les coupables échappent aux poursuites de la loi.


« L’abondance des subsistances et la rareté des exécutions sont deux textes favoris sur lesquels la vanité des Américains se plaît à s’appuyer pour prouver la supériorité de leur pays sur l’Angleterre. Que ce soient là deux très-bonnes choses, j’en conviens, mais je ne saurais admettre la conséquence. Il est aisé de faire rendre à un territoire vaste et fertile, de quoi nourrir abondamment une faible population ; et dans un pays où les mauvais sujets savent qu’après avoir fait un mauvais coup il suffira qu’ils se transportent à quelques milles, pour trouver, ailleurs comme chez eux, du bœuf et du wiskey en abondance, sans le moindre danger d’y être suivi par la loi, il n’est pas extraordinaire du tout que les exécutions soient rares. »


Mais cette négligence tient beaucoup aussi au respect qu’inspire l’individu dans un pays où l’individu joue un si grand rôle.


« Pendant mon séjour à Cincinnati, dit mistress Trollope, un meurtrier fut pris, mis en jugement et condamné à mort. L’instruction prouva que, quelques années auparavant, il avait assassiné sa femme et son enfant à la Nouvelle-Orléans ; mais ce crime n’avait point attiré l’attention de la justice. Le nouvel attentat qui l’avait mis entre ses mains était le meurtre d’une seconde femme, et le principal témoin était son propre fils.