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ASPIRANT ET JOURNALISTE.

c’est impossible. — Refuser le roi, c’est bien dur. — C’est seulement raisonnable. Que voulez-vous qu’on pense du Miroir, s’il ne parle pas de cette fête qui est un scandale public, entre nous ? Ne dira-t-on pas qu’il est vendu au roi ? — Mais il s’agit d’une affaire toute privée. Auriez-vous le droit de divulguer ce qui se passe chez moi ? Ce qui se passe à Saint-Ouen n’est pas davantage de votre domaine. — C’est une question que les tribunaux pourront juger, monsieur le duc. — Mais si votre voisin le boucher ou le boulanger venait vous dire : Monsieur, je donne une fête chez moi ; il y aura à ma porte des lampions et des gendarmes ; cela fera de l’effet dans le quartier, cependant, je vous en prie, n’en dites rien dans votre feuille, que feriez-vous ? — Dès que le roi comprend assez bien sa position pour se comparer ici à mon voisin le boulanger, dès qu’il n’emploie ni la menace ni la séduction, je vous promets que j’arrangerai les choses de manière à satisfaire Sa Majesté, sans déserter la cause des lecteurs du Miroir. M. Ternaux donne aujourd’hui une fête industrielle à Saint-Ouen, par opposition à la fête de madame du Cayla ; je rendrai compte de celle-là, et quant à madame du Cayla et au portrait de M. Gérard, ils n’y seront que par allusion ou comme les statues de Cassius et de Brutus. — Le moins possible, n’est-ce pas, monsieur ? — Soyez tranquille, monsieur le duc. Mais service pour service. Nous avons un procès, ridicule comme tous ceux qu’on nous a faits jusqu’ici, pour des pointes, des épigrammes, des allusions ; peut-être parmi les articles incriminés y a-t-il quelques plaisanteries du roi lui-même ; que M. Marchangy ne poursuive pas, et ce sera justice. — J’en vais parler au roi.

Le duc revint une demi-heure après, chargé des remercîmens de Louis xviii pour mon procédé de bon voisinage, et de sa promesse pour la suspension des poursuites du parquet. M. d’Escars me dit en s’en allant et en me serrant la main : « Je vous en prie, tenez cela bien secret, monsieur, le roi vous en saura bon gré. » Ce secret, je ne l’ai point divulgué ; un seul de mes collaborateurs l’a connu dans le temps. Le Miroir ne parla point de la fête de madame du Cayla ; notre procès fut appelé, jugé, et nous fûmes condamnés. Quinze jours après le Miroir fut supprimé. Il avait commis un grand crime : M. Jouy et moi avions osé critiquer