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touchans de cette histoire se trouvent dans les Mémoires de cet administrateur, et depuis, M. Alibert en a fait le sujet d’une nouvelle dans sa Physiologie des Passions. Ce centenaire se nommait Jacques, et il a légué son nom à la partie du saut près de laquelle il était établi ; on l’appelle encore aujourd’hui Jacques-Saut par abréviation.

La population civilisée de l’Oyapock ne s’étend pas au-delà de ce point. Assez florissante dans le dernier siècle, elle ne s’est jamais relevée du coup que lui porta la destruction de la bourgade de la Mission, et se compose aujourd’hui presque entièrement de gens de couleur et de nègres libres, parmi lesquels se trouvent confondus un petit nombre de blancs. Presque tous, sans distinction de races, végètent sur de chétives habitations, qui suffiraient à peine à leur existence, si la pêche ne leur offrait une ressource assurée. La plupart se bornent à cultiver du manioc, des ignames, des bananes ; les autres cultures ont été graduellement abandonnées par eux, depuis que presque tous les produits de la colonie sont tombés à vil prix, et couvrent à peine les frais d’exploitation. Aussi voit-on, de distance en distance, d’anciennes habitations délaissées, et des plantations considérables de rocouyers, cacaoyers, etc., dont on laisse pourrir le fruit sur l’arbre, ou qu’on abat pour leur substituer d’autres cultures. Les mœurs des habitans se ressentent nécessairement du peu de fertilité du sol sur lequel ils sont placés ; ils s’abstiennent, en général, de travaux pour ainsi dire inutiles, et passent leur temps dans une oisiveté presque complète. Il s’est introduit parmi eux un usage singulier, emprunté, comme plusieurs autres, aux Indiens qui vivent au milieu d’eux. Lorsque le moment de faire leur abatis[1] annuel est arrivé, au lieu de travailler avec zèle pendant quelque temps, il n’est pas rare de les voir déclarer à tout le voisinage qu’il y aura mahuri chez eux tel jour ; cela signifie qu’il y aura régal ce jour-là pour tous ceux qui voudront venir les aider dans leur travail. Tous les oisifs et les amateurs

  1. Ce mot signifie défrichement, plantation, etc. On dit communément : Aller à l’abatis, cultiver l’abatis, etc.