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REVUE. — CHRONIQUE.

D’un côté M. Victor Hugo s’avançait sur le théâtre avec de détestables acteurs, mais avec un drame audacieux de pensée et de conception.

Il avait aussi des bataillons auxiliaires à l’orchestre, à la première galerie et au parterre. Le reste de son armée couronnait les hauteurs de la seconde galerie et de l’amphithéâtre.

Toutes ces troupes, formées de jeunes soldats pleins d’ardeur et d’enthousiasme, combattaient bravement, et sans autres armes que leurs puissantes mains.

L’armée ennemie, dispersée en petits pelotons, occupait le plus grand nombre des loges, le balcon et les baignoires. C’est là qu’elle avait placé son artillerie de sifflets ; c’est de là qu’elle dirigeait ses perfides batteries de ricanemens et de murmures.

La mêlée fut terrible, la lutte longue et acharnée.

Enfin, après quatre heures de combat, la victoire parut se ranger sous les drapeaux du poète. M. Victor Hugo resta maître du champ de bataille.

Cependant, si la soirée était à lui, la troupe ennemie se promettait bien de prendre le surlendemain sa revanche, et cette guerre aurait duré sans doute tout un hiver, ainsi que celle d’Hernani. Mais voici que M. d’Argout, sans respect pour le droit sacré de non-intervention, s’est avisé de s’immiscer dans la querelle, et d’interdire toute représentation ultérieure du Roi s’amuse.

Il en est résulté, comme dans la comédie de Molière, que l’armée battue s’est rangée contre le ministre du côté de M. Victor Hugo. Et c’était justice vraiment. En ce siècle de suprême liberté, n’est-ce pas le moins que l’on nous laisse celle de nous déchirer paisiblement dans le champ clos du drame et de la poésie ?

Les représentations anglaises qu’on nous promettait depuis long-temps ont commencé la semaine dernière à la salle Favart.

Miss Smithson, dont les débuts nous avaient laissé de si profonds souvenirs, a reparu dans Jane Shore, et s’y est montrée plus poétique, plus déchirante et plus admirable que jamais.

La troupe comique, telle qu’elle se trouve composée en ce moment, est excellente, et deux petites comédies, Raising the Wind et the Rendez-vous, ont été jouées par elle avec beaucoup de verve et d’ensemble.

Kean et Macready sont attendus, et nous ne tarderons pas à les revoir dans Romeo et Juliette, dans Othello, Macbeth et Hamlet.

À la Porte-Saint-Martin, on nous annonce la reprise de la Maréchale d’Ancre, de M. Alfred de Vigny, en attendant son nouveau drame, qui fera son apparition dans le mois de février prochain.