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époques de l’histoire, de faire une constitution. Cela est encore vrai : l’ère véritable des constitutions complètement écrites et réfléchies ne date que de la fin du dix-huitième siècle. De Maistre enseigne aux hommes cet axiome : Toute constitution est divine dans son principe, il s’ensuit que l’homme ne peut rien dans ce genre, à moins qu’il ne s’appuie sur Dieu, dont il devient alors l’instrument. Je réplique : Toute constitution est humaine dans son principe ; l’humanité n’est raisonnable et puissante qu’en s’appuyant sur Dieu, dont elle émane, dont elle est l’image, l’interprète et le ministre. Un abîme me sépare du théosophe, la grandeur de l’humanité : je ne la veux pas esclave, pas même de Dieu.

L’homme a conquis des puissances dont à son berceau il se trouvait dépourvu : il n’a pas toujours écrit ses pensées et ses droits ; il fut un temps dans la succession des âges où il ne savait ni réfléchir, ni conclure, ni stipuler, ni exiger. Qu’en induire, si ce n’est qu’il a contracté d’excellentes habitudes, dont il manquait auparavant ? Lui ferez-vous un crime de son éducation ? Qu’on est rudement puni quand on dévie du bon sens ! La pente de l’erreur entraîne la raison égarée dans les gouffres de l’absurde ; on y perd la lumière des cieux, on s’y débat, on y pousse des cris impuissans ; et la voix la plus éloquente n’est plus qu’un gémissement funèbre, qui peut encore désespérer les hommes, mais non les consoler et les instruire. Ç’a été le châtiment de de Maistre[1].

La liberté humaine n’a pas toujours eu la conscience d’elle-même : elle a subi l’empire du destin ; elle a été attachée long-temps à un rocher sous les coups de la violence et de la force, ces deux sœurs qui ne se ressemblent pas[2]. Mais enfin, par ses discours la liberté a converti la force ; et avec son secours, elle a immolé la violence. Alors elle peut commencer à respirer et à vivre, ou plutôt à combattre : délivrée du joug immobile, elle devient la proie d’épreuves amères et renaissantes, la fortune ne la gâte pas par des prospérités précoces. La liberté devra tout

  1. Voyez Philosophie du droit, liv. IV, chap. XI.
  2. Prométhée d’Eschyle ; kratos, bia.