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LE ROI S’AMUSE.

des, de ses images, de ses symboles, de magnifiques occasions, de périlleux triomphes.

Or, le style envisagé sérieusement, qu’est-ce autre chose, au-delà du premier travail que la pratique et le métier ont bientôt épuisé, qu’est-ce autre chose que la pensée elle-même, avec ses habitudes familières et quotidiennes, avec ses nugæ poeticæ, ses caprices, ses enfantillages ; ses austères mélancolies, ses boutades, ses colères, ses accès de paresse ou de folle joie, ses promenades sans but, ses haltes sans fatigue et sans dessein ?

Pour le maniement de la langue, M. Hugo n’a pas de rival ; il fait de notre idiome ce qu’il veut ; il le forge et le rend solide, âpre et rude comme le fer, il le trempe comme l’acier, le fond comme le bronze, le cisèle comme l’argent ou le marbre ; les lames de Tolède, les médailles florentines ne sont pas plus acérées ou plus délicates que les strophes qu’il lui plaît d’ouvrer.

Mais ce constant amour de la langue et de la poésie pour elle-même, cette fidèle prédilection pour la description de la nature extérieure, ou le déroulement des pensées personnelles, répugne, on le conçoit sans peine, au récit des aventures, à l’expression intime et simple de la passion. Dans le roman, elle multiplie les paysages au point d’absorber et d’éteindre les personnages, comme dans les compositions bibliques de Martin. Dans le drame, elle ramène à de fréquens intervalles, souvent même en présence des interlocuteurs les plus importans, au milieu d’une scène active, les monologues, partie intelligible, utile, indispensable au théâtre, mais à une condition expresse, qui s’appelle la nécessité. Les monologues nécessaires sont brefs et rares. Quand un homme pense tout haut, cause avec lui-même, comme il se comprend à demi-mot, il n’a pas besoin d’achever l’idée commencée, il se dit quelques phrases courtes, mais pleines et significatives. Il peut s’exalter par la méditation, et se laisser entraîner aux plus hautes visions de la poésie. Mais alors même il doit encore conserver une parole simple, sobrement imagée. Or, les habitudes lyriques de M. Hugo ne se résignent pas au sacrifice que le drame exige impérieusement.

Dans le Roi s’amuse, comme dans Cromwell, dans Hernani, et Marion, M. Hugo s’est laissé aller à des mouvemens poétiques