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ment sans y songer, le petit drame, le cadre indispensable que Béranger anime : qu’on se rappelle Louis xi et l’Orage.

Ce cadre voulu, cette forme essentielle et sensible, cette réalisation instantanée de sa chanson, cet éclair qui ne jaillit que quand l’idée, l’image et le refrain se rencontrent en un, Béranger l’obtient rarement du premier coup. Il a déjà son sujet abstrait, sa matière aveugle et enveloppée ; il tourne, il cherche, il attend ; les ailes d’or ne sont pas venues. C’est après une incubation plus ou moins longue qu’au moment souvent où il n’y vise guère, la nuit surtout, dans quelque court réveil, un mot, inaperçu jusque là, prend flamme et détermine la vie. Alors, suivant sa locution expressive, il tient son affaire et se rendort. Cette parcelle ignée en effet, cet esprit pur qui, à peine éclos, se loge dans une bulle hermétique de cristal que la reine Mab a soufflée, c’est toute sa chanson, c’en est le miroir en raccourci, la brillante monade, s’il est permis de parler ce langage philosophique dans l’explication d’un acte de l’âme, qui certes ne le cède à aucun en profondeur. Le poète mettra ensuite autant de temps qu’il voudra à la confection extérieure, à la rime, à la lime ; peu importe ; il y mettrait deux mois ou deux ans, que ce serait aussi vif que le premier jour : car encore une fois, comme il le dit, il tient son affaire.

Béranger a publié jusqu’ici quatre recueils : le premier à la fin de 1815, le second à la fin de 1821, le troisième en 1826, le quatrième en 1828. Le premier, qui était plus égrillard et gai que politique, et le troisième, qui parut sous le ministère spirituellement machiavélique de M. de Villèle, n’encoururent pas de procès. Le recueil de 1821, incriminé par M. de Marchangy et défendu par M. Dupin aîné, valut à Béranger trois mois de prison ; celui de 1828 (sous le ministère Martignac), incriminé par M. de Charapanhet et défendu par M. Barthe, le fit condamner à neuf mois. Outre ces deux principales affaires, Béranger en eut encore deux autres dans l’intervalle : l’une en mars 1822, à propos de la publication des pièces du premier procès, il fut acquitté ; et plus tard une légère chicane pour contrefaçon, qui n’eut pas de suite. Le cinquième et dernier recueil de Béranger doit paraître dans le courant de janvier prochain.