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POÈTES MODERNES.

chrétiennes, en les reportant vers le seizième siècle, et sans intervention de fausse mythologie. J’ai lu en grande partie un poème idyllique de lui, en quatre chants, intitulé le Pélerinage, et conçu dans cette pensée. Je n’affirmerai pas que le poète ait réussi à faire un tout suffisamment intéressant et neuf ; mais l’intention générale et parfois le bonheur des détails sont manifestes. Un académicien-poète, à qui Béranger, encore inconnu, parlait un jour de ses idylles et du soin qu’il y prenait de nommer chaque objet par son nom sans le secours de la fable, lui objectait : « Mais la mer, par exemple, la mer, comment direz-vous ? — Je dirai tout simplement la mer. — Eh quoi ! reprit l’académicien qui n’en revenait pas, Neptune, Thétis, Amphitrite, Nérée, de gaîté de cœur vous vous retranchez tout cela ? — Effectivement, » ajouta Béranger.

Vers la fin de 1803, Béranger ayant fait un paquet de ses meilleurs vers, idylles, méditations, dithyrambes, etc. etc., les adressa, en les accompagnant d’une lettre fort digne, à un personnage éminent d’alors. Le succès de sa missive dépassa son espérance. Nous prévoyons et réservons de plus amples renseignemens sur cet endroit de sa vie pour l’article que nous consacrerons, d’ici à six semaines, au prochain et dernier recueil de ses chansons. Recommandé à Landon, éditeur du Musée, notre poète fut occupé un ou deux ans (1805-1806) à la rédaction du texte de cet ouvrage. En 1809, grâce à l’appui de M. Arnault, il entra dans les bureaux de l’Université, en qualité de commis-expéditionnaire. Durant les douze années qu’il passa à cet emploi, ses appointemens flottèrent de 1,000 à 2,000 francs. Ce qu’il y a de particulier, c’est que, content de si peu, il ne consentit jamais à avancer, malgré la facilité qu’il en eut et l’offre réitérée qu’on lui en fit. Gardant toutes ses pensées et son travail intellectuel, il ne donnait que son temps et sa main, comme Jean-Jacques quand il copiait de la musique. Béranger ne perdit cette modique place qu’en 1821. Dès 1815, lors de la publication de son premier recueil, on l’avait prévenu, avec une sorte d’indulgence, qu’il prît garde de recommencer, parce qu’on serait, à regret, contraint de sacrifier une autrefois Bacchantes, Gau-