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REVUE DES DEUX MONDES.

Il traversa la galerie, descendit lentement l’escalier, marchant comme un vieillard, les jambes cassées, et la tête sur la poitrine.

Quand il fut arrivé au bout du parc, il ouvrit une petite porte qui donnait sur la campagne, et dont lui seul avait la clef. Personne ne l’avait vu entrer, personne ne le voyait sortir ; il appela Ralff d’une voix sourde et tremblante ; le brave cheval bondit et vint à lui en hennissant. — Silence, Ralff, silence ! dit-il en se mettant lourdement en selle ; et il laissa tomber la bride sur le cou du fidèle animal, s’abandonnant à lui, incapable de le diriger, insoucieux d’ailleurs où il le conduirait.

Une tempête se préparait au ciel, une pluie fine et glaciale tombait, des nuages lourds et bas roulaient comme des vagues. Ralff marchait au pas.

De Gyac ne voyait rien, ne sentait rien ; il était absorbé dans une seule idée. Cette femme venait de corrompre tout son avenir avec un adultère.

De Gyac avait rêvé la vie d’un vrai chevalier : la gloire des combats, le repos de l’amour. Cette femme, qui avait encore vingt ans à être belle, avait reçu comme un dépôt le bonheur de toutes ses années de jeune homme. — Eh bien ! tout était flétri ; plus de guerre, plus d’amour : une seule pensée devait désormais remplir sa tête, rongeant toutes les autres ; une pensée de double vengeance, pensée à le rendre fou. — La pluie tombait plus épaisse, de larges coups de vent courbaient les arbres de la route comme des roseaux, leur arrachant violemment les dernières feuilles que l’automne leur laissait encore ; l’eau ruisselait sur le front nu de Gyac, et il ne s’en apercevait pas : le sang, un instant arrêté au cœur, s’élançait maintenant à sa tête, ses artères battaient avec bruit ; il voyait passer devant ses yeux des choses étranges comme en doit voir un homme qui devient insensé ; cette pensée, cette seule pensée dévorante bouillonnait dans son cerveau, confuse, brisée, n’amenant rien que le délire. — Oh ! s’écria-t-il tout à coup, ma main droite à Satan, et que je me venge[1].

  1. Guillaume Gruel, histoire de Richemont.