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— Oh ! Catherine, Catherine, avec une bouche si pure, des yeux si doux, une voix si candide, tant de trahison au fond du cœur, enveloppe d’ange, ame de démon ! Ce matin encore, elle accompagnait mon départ de caresses et de baisers ; elle passait sa blanche main dans ta crinière, flattant ton cou, et te disant : Ralff, mon Ralff, ramène-moi bientôt mon bien-aimé. Dérision !… Plus vite, Ralff, plus vite ! — Il frappait le cheval de son poing fermé à la place où l’avait caressé la main de Catherine. Ralff ruisselait.

— Catherine, le bien-aimé revient, et c’est Ralff qui te le ramène !… Oh ! s’il est vrai, s’il est vrai que tu me trompes ; oh ! la vengeance, oh ! il faudra bien du temps pour la trouver digne de vous deux. Allons, allons ! il faut que nous arrivions avant lui ; Ralff, plus vite ! plus vite ! et il lui déchirait le ventre avec ses éperons, et le cheval hennissait de douleur.

Le hennissement d’un autre cheval lui répondit ; bientôt de Gyac aperçut un cavalier, qui allait lui-même au galop. Ralff dépassa cheval et cavalier d’un élan, comme l’aigle, d’un coup d’aile, dépasse le vautour. De Gyac reconnut le duc ; le duc crut avoir vu passer une apparition fantastique.

Ainsi le duc Jean allait bien au château de Creil.

Le duc continua son chemin ; en quelques secondes, cheval et cavalier avaient disparu ; d’ailleurs cette vision ne pouvait prendre place dans son esprit, tout plein de pensées d’amour. Il allait donc se reposer un instant de ses combats politiques et de ses combats armés. Adieu à toutes les fatigues du corps, à tous les tourmens de l’esprit ! il allait s’endormir aux bras de sa belle maîtresse, l’amour allait lui souffler au front : ce sont les cœurs de lion, les hommes de fer, qui seuls savent aimer.

Il arriva à la porte du château. Toutes les lumières étaient éteintes : une seule fenêtre brillait lumineuse, et derrière le rideau de cette fenêtre on voyait se dessiner une ombre. Le duc attacha son cheval à un anneau, et tira quelques sons d’un petit cor d’ivoire qu’il portait à sa ceinture.

La lumière s’agita, laissa bientôt la chambre où elle brillait d’abord dans la plus complète obscurité, et passa successivement