Page:Revue des Deux Mondes - 1832 - tome 8.djvu/532

Cette page a été validée par deux contributeurs.
522
REVUE DES DEUX MONDES.

seigneurs, je n’étais que prisonnier. Mais j’ai su qu’on tenait le grand conseil en mon absence, et j’ai voulu y venir, mon cousin de Bourgogne ; j’espère que vous voyez avec plaisir que mon état, dont sans doute on vous avait exagéré le péril, me permet encore de présider les affaires du royaume. Puis se retournant vers le prêtre : — Parlez, mon père, lui dit-il, le roi de France vous écoute, et il s’assit sur le trône.

Le prêtre fléchit le genou devant le roi, ce qu’il n’avait pas fait devant le duc de Bourgogne, et commença à parler dans cette posture.

— Notre sire, dit-il, les Anglais, vos ennemis et les nôtres, ont mis le siége devant la ville de Rouen.

Le roi tressaillit.

— Les Anglais au cœur du royaume, et le roi n’en sait rien ! dit-il. Les Anglais devant Rouen !… Rouen, qui était ville française sous Clovis, l’aïeul de tous les rois de France ; qui n’a été perdue que pour être reprise par Philippe-Auguste !… Rouen, ma ville !… un des six fleurons de ma couronne !… Oh ! trahison, trahison ! murmura-t-il à voix basse.

Le prêtre, voyant que le roi avait cessé de parler, continua :

— « Très-excellent prince et seigneur[1], il m’est enjoint, de par les habitans de la ville de Rouen, de crier à vous, sire, et contre vous, duc de Bourgogne, qui avez le gouvernement du roi et de son royaume, le grand haro, lequel signifie l’oppression qu’ils ont des Anglais, et vous mandent et font savoir par moi que si, par faute de votre secours, il convient qu’ils soient sujets au roi d’Angleterre, vous n’aurez en tout le monde pires ennemis qu’eux, et que, s’ils peuvent, ils détruiront vous et votre génération. »

— Mon père, dit le roi en se levant, vous avez accompli votre mission et m’avez rappelé la mienne. Retournez vers les braves habitans de la ville de Rouen, dites-leur de tenir, et que je les sauverai par négociation ou par secours, dussé-je, pour obtenir la paix, donner ma fille Catherine au roi d’Angleterre ; dussé-je,

  1. Enguerrand de Monstrelet.