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un oncle de mon père, magistrat de notre ville. Il m’avait fait un excellent accueil, et m’avait engagé à dîner pour le 2 juin. Je trouvai à son hôtel nombreuse et brillante compagnie ; il traitait plusieurs députés des départemens et quelques officiers-généraux de ses amis. On faisait cercle au salon quand j’y fus introduit. La conversation était animée ; on parlait politique avec une liberté qui gênait beaucoup notre amphytrion, homme de beaucoup d’esprit, mais un peu méticuleux, et qui n’aurait pas voulu qu’on pût redire à l’empereur que chez lui on se permettait de faire de l’opposition à l’Acte additionnel. Il cherchait à mettre d’accord les opinions les plus divergentes ; par politesse, par bienséance, presque tout le monde lui cédait ; il n’y avait là qu’un homme intraitable, un homme d’un extérieur fort simple, espèce de campagnard éloquent, aux manières énergiques, à la voix rude et forte ; il ne concédait rien à personne. « Votre Bonaparte, disait-il, je m’en défie. Vous ne me ferez pas croire qu’il aime jamais la liberté et l’égalité. Quelle parade il nous a fait jouer hier ! Et toute cette cour, tous ces valets dans leurs costumes de saltimbanques ! Et puis des princes, des ducs et des barons ! » — Le salon de M. Vouty de la Tour était plein de barons, de ducs et de princes, et le malin républicain leur jetait durement cette épigramme au visage. — « Ou il étouffera la liberté, leur empereur, ou la liberté l’étouffera ; et je parie pour la liberté ! » M. le baron de la Tour était fort embarrassé ; il fit hâter le dîner pour se tirer de la situation où le mettait son malencontreux opposant.

On servit enfin. Chacun cherchait sa place à table ; je trouvai la carte qui portait mon nom entre celles de deux hommes fort célèbres. Leur voisinage m’effraya. L’un d’eux était cet ennemi de l’empereur que je venais d’entendre discuter si vertement, et dont j’avais cherché à deviner le nom pendant qu’il parlait : c’était un membre de la Convention, un régicide. L’autre était aussi un conventionnel ayant voté la mort du roi, mais d’une trempe bien différente. Le premier, loyal, convaincu, sincère, incapable de transiger avec sa conscience, a laissé une mémoire honorable dans l’histoire de la révolution. Le second, jacobin à