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LETTRES PHILOSOPHIQUES.

gulier dans sa marche, mais il est persévérant : il se sert à merci des hommes et des générations ; il brise les destinées les plus hautes dont l’orgueil semblait le défier ; il prodigue, au succès de ses desseins, les renversemens des rois antiques ; il érige soudainement des fortunes inouies ; partout il cherche des instrumens, dût-il après en faire des victimes ; irrésistible, impitoyable, infini, il répète avec Dieu : Ego sum qui sum. Devant ce dominateur terrible, courbez la tête, obéissez ! Mais au lieu de le servir en tremblant, pourquoi ne pas le suivre avec amour ? Pourquoi ne pas aimer notre siècle, cette face de Dieu dans un point de l’éternité ? Passagers d’un jour, nous ne saurions refuser le pain qui nous a été jeté d’en haut : nous n’en aurons pas d’autre. Eh bien ! si, au lieu de le tremper de larmes stériles, nous l’arrosions des sueurs de notre travail ! si, au lieu de maudire la cause suprême qui nous fait mouvoir, nous nous prenions à la bénir ! si, au lieu du désespoir, l’enthousiasme ! si, au lieu de la crainte qui se retire, le dévouement qui se donne ! Oui, pourquoi les jeunes générations, formant un chœur immense sous l’œil de celui qui est, ne s’écrieraient-elles pas : Nous voilà, lévites nouveaux ; nous voilà, ministres dévoués des volontés progressives d’un Dieu qui ne change pas !

Au surplus, en France, monsieur, le temps de l’esprit critique semble passé ; ce juge raisonneur a été jugé lui-même ; après l’avoir suffisamment entendu, nous l’avons mis hors de cour. Nous avons assez de ces préfaces qui dissertent sans conclure, qui se gonflent sans accoucher ; il a pu être utile, il y a quelques années, de chercher une raison et une justification à tout ce qui était, de confondre dans une impartialité sceptique le passé et le présent, le bien et le mal : cette indifférence a pu servir contre les vieilles choses à les dissoudre ; mais aujourd’hui elle est une denrée trop légère pour alimenter des générations affamées de découvrir une vérité substantielle et solide.

Ces lettres, monsieur, que je vous adresse, je me suis décidé à les publier dans l’unique dessein de déblayer le sol ; elles sont critiques elles-mêmes, mais pour ensevelir l’esprit critique et négatif, mais pour discerner le faux d’avec le vrai, le suranné de ce qui est vif et réel, mais pour accélérer le règne de croyances