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destinées nouvelles de la France. M. de Lafayette est en dehors de l’ordre commun ; il n’est sujet de personne ; il ressemble à ces législateurs de l’antiquité qui ne sortaient de leur retraite et de leur silence que pour accomplir une mission divine et des actes extraordinaires.

Les représentans divers de la démocratie française ont tous disparu ; Mirabeau n’a parlé que deux ans ; Robespierre n’a soutenu que dix-huit mois l’horreur problématique de son personnage ; Napoléon s’est fait un siècle en vingt ans ; seul, M. de Lafayette survit ; il a duré. Dès l’origine, acteur dans la révolution, il en est le contemporain assidu, le symbole perpétuel, la tradition vivante. Savez-vous à qui, monsieur, je ne puis m’empêcher de le comparer ? ne vous étonnez pas trop, à Louis xiv. Le fils d’Anne d’Autriche, dans sa longue carrière, n’a vécu que pour être, aux yeux de la France, le type vivant de la monarchie, roi, rien que roi ; il est l’état, il est la France, naturellement, avec une majesté simple ; Louis n’a pas l’originalité d’un Frédéric ou d’un Charles-Quint ; il n’a que la grandeur de son rôle, mais il l’a toute entière, mais si bien mêlée à sa médiocrité personnelle, que la postérité, je lui donne vingt siècles, ne cassera jamais le jugement de la France qui l’a nommé le grand roi. M. de Lafayette est peuple ; il ne s’appartient pas à lui-même, il appartient au peuple, il lui sourit, il l’aime ; sa vie est un rôle, mais sincèrement adopté, mais joué avec naturel, et qui sera soutenu jusqu’au bout, sans effort. Comme il n’avait la vocation ni d’un Pitt, ni d’un Napoléon, il est resté le serviteur des principes ; il ne ressemble à personne ; il est nouveau, parce qu’il est toujours le même ; au milieu des révolutions il n’enfle ni sa voix, ni son caractère ; il y porte la même sérénité qu’au milieu de sa famille ; qu’on l’approche à Lagrange ou à l’Hôtel-de-Ville, on le trouvera simple, spirituel et doux ; on chérit sa bonté, on vénère sa vertu ; on aimerait à lui trouver du génie, mais on est tranquille sur son immortalité, on est sûr que les petits enfans de nos enfans confirmeront dans l’avenir le nom de grand citoyen.

Que l’histoire est belle dans son économie ! Depuis la fin du quinzième siècle jusqu’à celle du dix-huitième, l’Europe a voulu façonner le monde nouveau qu’elle a découvert ;