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ter de l’irrévocable chute de la république, regardez Rome après l’immolation de César. Où va-t-elle ? que veut-elle ? César était mort, mais la liberté n’en était pas plus vivante : avaient-ils changé leur siècle par un coup de poignard, Brutus et Cassius ?

Si, après la mort de César, la liberté romaine ne peut se ranimer, après la chute de Napoléon, la liberté française reparaît plus vive que jamais. C’est qu’entre Pharsale et Waterloo dix-huit siècles ont coulé. La France reprit instinctivement l’œuvre et l’idée de sa révolution ; spontanément elle voulut être libre ; loin d’être allanguie par ce découragement qui cherche le repos dans la servitude, signe certain de la décrépitude des empires, à peine guérie de ses blessures, elle releva un front serein, et se tourna avec activité vers les occupations de l’industrie et de la pensée. Le libéralisme fut, pendant quinze années, l’expression politique de cette renaissance démocratique : Benjamin Constant en fut le tribun et le philosophe ; il soutint la liberté contre les violences et les erreurs d’un pouvoir qu’il vit tomber quelques mois avant sa mort, sous l’effort de la démocratie triomphante.

Qu’est-ce donc, monsieur, que cette démocratie française, où vient aboutir aujourd’hui notre civilisation ? Quelle en est la raison et quel en est le caractère ? « Vous n’êtes ni Romains ni Spartiates ; vous n’êtes pas même Athéniens, dit quelque part Rousseau aux Génevois. Laissez là ces grands noms qui ne vous vont point. Vous êtes des marchands, des artisans, des bourgeois, toujours occupés de leurs intérêts privés, de leur travail, de leur trafic, de leur gain ; des gens pour qui la liberté même n’est qu’un moyen d’acquérir sans obstacle, et de posséder en sûreté. » Les Français ne sont pas non plus, monsieur, une imitation classique des Romains et des Spartiates ; je ne crois pas que les Athéniens aient lieu de se plaindre, si parfois on nous a rapprochés d’eux : mais, enfin, nous sommes nous-mêmes ; nous laisserons à l’antiquité ses grands noms, parce que nous avons le nôtre. Napoléon, visitant le tombeau de Frédéric, ne voulut pas se parer de l’épée du Prussien ; il avait la sienne.