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ASPIRANT ET JOURNALISTE.

encore aujourd’hui à ce supplice auquel il était condamné ; je le vois encore accuser par sa contenance la lenteur du prélat officiant ; je le vois regardant, d’un œil fixe, M. Dubois[1] qui lui débitait le discours voté par la majorité des électeurs, discours où se trouvait cachée sous le dévouement une scission trop prochaine entre l’assemblée et l’empereur ; je le vois prenant, pour se distraire, du tabac à poignée dans les boîtes de l’archevêque de Bourges et de l’archichancelier de l’empire qui se tenaient debout à ses côtés. Oh ! qu’il était malheureux ! que tout cela le faisait souffrir ! quelle responsabilité il avait assumée sur sa tête ! Son génie suffira-t-il aux difficultés ? La victoire sera-t-elle fidèle à ses aigles ? Que de nuages sur ce vaste front ! Cette haute confiance qu’avait jadis en lui le vainqueur de l’Europe, qu’est-elle devenue ? il est incertain, il hésite, il est timide ! Lui, timide ! Oui, écoutez-le. Il va répondre à M. Dubois… Il parle de liberté sans éloquence, en homme qui n’y croit pas, qui la caresse et la prend comme une alliée nécessaire, dont il se défera quand il n’en aura plus besoin ; il parle de gloire avec amour, mais de ses victoires futures sans conviction. Ce n’est plus là Bonaparte si sûr de lui, si abondant en grands effets de poésie dont il réalisera les merveilleuses promesses ; ce n’est plus le Bonaparte d’Égypte et d’Italie, le Napoléon d’Austerlitz et même de Moscou ! Sa foi en lui-même n’est pas ardente comme autrefois ; il est descendu Dieu du trône, il vient d’y remonter homme ; il sent cela, et s’en inquiète. Que fera l’homme ? Retrouvera-t-il quelque chose du Dieu dans la périlleuse entreprise où le voilà lancé ? S’il faut qu’il reste au-dessous de sa vaste renommée, que deviendra-t-il ? Le voyage de Cannes à Paris est une aventure heureuse, mais ce n’est qu’une aventure ; la guerre déclarée, et qu’il faut bien accepter, est une autre chose vraiment ! La nation aura-t-elle encore ce sentiment aveugle de dévotion à l’empereur qu’elle lui avait voué jadis ? Ne lui gardera-t-on pas rancune de l’Espagne et de Moscou ? Les idées libérales que l’opposition aux Bourbons a développées déjà dans les classes élevées et moyennes, ne seront-elles pas exigeantes envers lui ? Le

  1. M. Dubois d’Angers, aujourd’hui aussi député de Maine-et-Loire.