Page:Revue des Deux Mondes - 1832 - tome 8.djvu/46

Cette page a été validée par deux contributeurs.
40
REVUE DES DEUX MONDES.

et à gauche, les personnes qui le touchaient de trop près : tout le monde voulait lire dans ses yeux les destins de la France, et cette investigation paraissait le contrarier un peu. Une chose qui le gênait aussi et lui causait une impatience assez mal dissimulée, c’était le grotesque costume dont il était revêtu. Figurez-vous l’homme à la capote grise ou au simple habit vert, si beau comme cela, si noble, si bien coiffé de ce petit chapeau auprès duquel celui de Nansouty était un géant ; figurez-vous cet homme caché sous l’attirail d’un courtisan de François Ier, qui aurait mis son manteau comme le Crispin de la parade ! quel déguisement ! Les soldats de la vieille garde, qui brillaient là avec leurs habits rougis par le soleil, avec leurs bonnets à poils rongés par une longue campagne avant l’exil dans la mer italique, ne purent s’empêcher de sourire en voyant leur général ainsi vêtu. La toque à plume blanche, à ganse et à bouton de diamant, allait mal à la figure grasse de Napoléon. Les artistes le remarquèrent, ce qu’ils remarquèrent aussi, c’est le mauvais goût qui avait présidé à la composition de ce costume de cérémonie, amalgame étrange du manteau court à la Henri iii, de la tunique théâtrale qu’Elleviou avait mise en réputation dans Françoise de Foix, de la coiffure de Charles ix, du tricot de soie collant qu’on portait sous Henri iv, et des souliers de satin blanc dont se paraient tous les seigneurs du temps de Louis xii. Les royalistes se moquèrent, les artistes critiquèrent, bien que David eût passé par-là, les compagnons d’armes de l’empereur gémirent tout bas du ridicule qu’il se donnait ; les représentans du peuple dirent assez haut combien un tel travestissement leur paraissait peu convenable. De l’hémicycle où les députés étaient placés selon l’ordre alphabétique de leurs départemens, s’éleva un murmure désapprobateur quand Napoléon parut sur l’amphithéâtre où l’on allait dire la messe ; je fus effrayé de cette rumeur.

La députation du Finistère avait eu la bonté de me faciliter l’entrée de l’enceinte réservée, afin que je pusse bien voir ce spectacle qui m’avait fort tenté. J’étais placé presqu’en face de l’empereur, et je ne perdis pas un de ses mouvemens, un de ses fréquens froncemens de sourcils, un de ses gestes d’impatience ; j’assiste