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GEOFFROI ET BRUNISSENDE.

de laquelle il voit un lit, et dans le lit un chevalier blessé, et de chaque côté deux femmes, dont le visage et l’attitude annoncent l’abattement et la douleur. L’une d’elles est jeune encore, l’autre vieille. Geoffroi s’approche de celle-ci pour lui parler. Elle va à sa rencontre : — Pour Dieu, seigneur, dit-elle, parlez bas, pour ne point aggraver les souffrances du chevalier que voici étendu blessé dans ce lit.

Geoffroi annonce qu’il vient de la part d’Auger, et pourquoi il vient. Là-dessus la vieille femme se met à lui dire tout ce qu’il désire savoir.

Taulat est un chevalier d’une bravoure et d’une force extraordinaire, mais d’une méchanceté monstrueuse, qui désole au loin les contrées voisines. Les chevaliers, logés dans les tentes de la plaine, sont de braves chevaliers qui ont osé se mesurer avec lui, dans l’espoir d’en délivrer le monde, mais ils ont été vaincus, et sont retenus prisonniers par lui.

Mais nul n’a eu tant à souffrir de la scélératesse de Taulat que le chevalier étendu là, si horriblement blessé sur ce lit. Taulat lui tua d’abord son père, sans raison, et lui fit ensuite la guerre à lui-même ; il lui enleva une partie de ses terres, le blessa de plusieurs coups de lance, le prit et l’enferma dans ce château écarté. Il y a sept ans qu’il est sur ce lit, ses plaies toujours vives, toujours ouvertes. Chaque fois qu’elles sont sur le point de se fermer, une fois par mois Taulat le fait prendre par ses valets et flageller de courroies noueuses, jusqu’à ce que le sang coule de nouveau de chacune de ses blessures.

Ce malheureux chevalier se nomme Mélian de Montmelier. C’est le seigneur de la contrée où Geoffroi a entendu tant de lamentations et de cris, et c’est la destinée même du pauvre martyrisé qui est la cause de ces lamentations et de ces cris. Il était si bon, si juste, si parfait en toute chose, que ses sujets l’aimaient jusqu’à l’adoration. C’est en témoignage de leur amour, de leurs regrets, de leur compassion pour ses souffrances inouies, qu’ils pleurent et se lamentent tous plusieurs fois par jour ; c’est un deuil extraordinaire qu’ils ont résolu de garder aussi long-temps que leur infortuné seigneur restera le martyr de la férocité de Taulat.