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ASPIRANT ET JOURNALISTE.

n’en finit pas tout de suite avec ce gueux de Bonaparte ; avant la révolution, si un polisson de cette espèce s’était présenté sur les côtes de France, avec des intentions malveillantes, on lui aurait envoyé un exempt et quatre soldats du guet, et tout aurait été dit ! »

Voilà où on en était à la cour en 1814 ! Louis xviii seul ne s’abusait pas. Quand il eut appris que Napoléon était débarqué, sans que les douaniers du golfe Juan et les paysans du midi eussent tiré sur lui un coup de fusil, il comprit qu’un hasard seul pouvait empêcher une restauration impériale ; il fit alors préparer ses voitures et ses bagages. Cela se fit assez secrètement, mais tout se sait vite à Paris, et la nouvelle du départ futur du roi se répandit en même temps que celle de la défection des soldats de l’île d’Elbe, jetée par la police aux crédules du faubourg Saint-Germain et du Marais.


Tous les chefs d’administration, pour faire preuve de dévouement, cherchèrent à enrôler des volontaires qui devaient s’opposer à l’invasion des conquérans de l’île d’Elbe. Le ministre de la marine convoqua dans la cour de son hôtel ce qu’il y avait à Paris de marins des trois familles, militaire, administrative et médicale. Nous nous trouvâmes une soixantaine qu’on mit sous les ordres de l’amiral Missiessy ; puis, vieux et jeunes, officiers et pharmaciens, chirurgiens et commissaires, enfans de la révolution et de la vieille France, nous nous rangeâmes sur deux rangs ; on nous fit mettre l’épée à la main et l’on nous mena par les rues voisines du château, faire une innocente promenade. Cette démonstration, qui, du reste, fut la seule, amusa assez les habitans. Quelques anciens serviteurs des Bourbons, qu’on avait fait rentrer dans le corps des officiers de vaisseau, où ils étaient tout étonnés de se retrouver, essayèrent de réchauffer le royalisme éteint de la capitale ; on accueillit par de bruyans éclats de rire leurs cris d’amour et de fidélité. « Mon cher camarade, me dit un capitaine de frégate qui marchait à côté de moi, le peuple est un ingrat. Louis xviii a refait ou travaillait à refaire ce que la révolution avait défait, et les Parisiens ne comprennent pas