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sorbé le domaine de la poésie. Le peuple chinois a été comme ces enfans précoces, raisonnables de bonne heure, qui seront des savans peut-être, jamais des poètes. Malgré cela, ou plutôt à cause de cela, c’est le peuple qui a fait le plus de vers ; faire des vers est à la Chine l’occupation et l’amusement journalier de tout homme cultivé : on fait des vers pour passer le temps quand on est ensemble, comme on joue, comme on fume, comme on boit. Mais à juger de cette poésie d’impromptus, d’acrostiches, de bout-rimés, par ce que nous en connaissons, elle est ce qu’elle doit être chez une société raffinée et blasée par une civilisation de tant de siècles. Ce qui lui agrée surtout, c’est l’emploi d’un langage contourné, auprès duquel celui des précieuses et de l’hôtel de Rambouillet est une merveille de simplicité ; ce sont des allusions d’autant plus goûtées qu’elles sont plus détournées et plus obscures, c’est une élégance molle et recherchée, c’est le retour constant des mêmes images empruntées de préférence à ce que la nature offre de plus pâle et de plus frêle, la fleur du pêcher, la feuille du saule, l’eau ridée par la brise, la neige éclairée par la lune ; le genre descriptif domine dans ces compositions, et la description y est à la fois minutieuse et vague. Cette poésie fleurie, précieuse, mignarde, a été portée à sa perfection par deux poètes du viiie siècle, à l’un desquels (Tou-Fou) M. Rémusat a consacré une trop courte notice.

Je conçois sans peine que cette sentimentalité fade ne dut pas avoir un grand attrait pour un esprit judicieux et solide. Mais il est à regretter qu’il ait étendu son indifférence à des monumens poétiques d’une autre importance. Ainsi, il n’appréciait pas assez celle du livre des vers (Chi-King) : n’est-ce rien qu’un recueil de poésies fait par Confucius, qui étaient déjà très-anciennes de son temps, et dont plusieurs étaient certainement populaires au moins douze cents ans avant Jésus-Christ ; il faut dire cependant qu’il encouragea la publication de la traduction latine du livre des vers par le père Lacharme, que nous devons aux soins de M. Mohl.

Il est deux genres d’ouvrages d’imagination qui ont pour nous un intérêt particulier en ce qu’ils nous offrent une peinture fidèle et vivante des mœurs chinoises, ce sont les drames et les romans.