Page:Revue des Deux Mondes - 1832 - tome 8.djvu/327

Cette page a été validée par deux contributeurs.
321
SCÈNES HISTORIQUES.

ramassait d’une main par les cheveux la tête du mort, et l’approchait d’une torche qu’il tenait de l’autre ; la lumière porta sur le visage de cette tête, et les traits n’en étaient pas tellement défigurés par l’agonie, que Tanneguy du haut de la Bastille ne pût reconnaître ceux de Robert-le-Masson, son ami d’enfance, et l’un des plus chauds et des plus dévoués Armagnacs, le même qui lui avait donné son cheval au moment où il enlevait le dauphin de l’hôtel Saint-Paul : un profond soupir sortit de sa large poitrine.

— Pardieu, maître Cappeluche, dit l’homme du peuple, en portant cette tête au bourreau, vous êtes un rude compère de décoller la tête du premier chancelier de France aussi proprement et sans plus d’hésitation que si c’était celle du dernier truand.

Le bourreau sourit avec complaisance ; il avait aussi ses flatteurs[1].

  1. Si l’on nous accusait de nous complaire à de pareils détails, nous répondrions que ce n’est ni notre goût ni notre faute, mais seulement la faute de l’histoire. Une citation prise dans les Ducs de Bourgogne de M. de Barante prouvera peut-être que nous n’avons choisi ni les teintes les plus lugubres, ni les tableaux les plus hideux de cette malheureuse époque. Quand les rois et les princes arment les peuples pour des guerres civiles, quand ils prennent des instrumens humains pour trancher leurs différens et démêler leurs intérêts, ce n’est plus la faute de l’instrument qui frappe, et le sang versé retombe sur la tête qui commande et sur le bras qui conduit.

    Revenons à notre citation ; la voici :

    « On avait du sang jusqu’à la cheville dans la cour des prisons ; on tua aussi dans la ville et dans les rues. Les malheureux arbalétriers génois étaient chassés des maisons où ils étaient logés, et livrés à la populace furieuse. Des femmes et des enfans furent mis en pièces, une malheureuse femme grosse fut jetée morte sur le pavé, et comme on voyait son enfant palpiter dans ses flancs, tiens, disait-on, le petit chien remue encore. Mille horreurs se commettaient sur les cadavres, on leur faisait une écharpe sanglante comme au connétable ; on les traînait dans les rues, les corps du comte d’Armagnac, du chancelier Robert-le-Masson, de Raimond de la Guerre, furent ainsi promenés sur une claie dans toute la ville, puis laissés durant trois jours sur les degrés du palais. »

    M. de Barante avait dû puiser lui-même ces détails dans Juvénal des Ursins, auteur contemporain avec lequel nos lecteurs ont fait connaissance dans notre dernière scène historique.