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SCÈNES HISTORIQUES.

Depuis quelques instans le bruit s’était rapproché, et une grande lueur montait de la rue de la Cerisée : cependant il était impossible de découvrir ceux qui causaient ce bruit, ni de deviner la véritable cause de cette lueur, la position transversale de la rue et la hauteur des maisons empêchant les regards de pénétrer jusqu’au rassemblement qui les occasionnait. Tout à coup des cris plus distincts se firent entendre, et un homme à moitié nu s’élança de la rue de la Cerisée dans la grande rue Saint-Antoine, fuyant et appelant du secours. Il était poursuivi, à une faible distance, par quelques hommes, qui, de leur côté, criaient : « À mort ! à mort l’Armagnac ! tue l’Armagnac. » À la tête de ceux qui poursuivaient ce malheureux, on reconnaissait maître Cappeluche à son grand sabre à deux mains qu’il portait nu et sanglant sur son épaule, à sa huque sang de bœuf et ses jambes nues. Cependant le fugitif, à la course duquel la peur donnait une rapidité surhumaine, allait échapper à ses assassins en gagnant l’angle de la rue Saint-Antoine, et en se jetant derrière le mur des Tournelles, lorsque ses jambes s’embarrassèrent dans la chaîne que l’on tendait chaque soir à l’extrémité de la rue. Il fit quelques pas en trébuchant, et vint tomber à une portée de trait des murs de la Bastille ; ceux qui le poursuivaient, prévenus par sa chute même, sautèrent par-dessus la chaîne, ou passèrent par-dessous, de sorte que, lorsque ce malheureux voulut se relever, il vit briller au-dessus de sa tête l’épée de Cappeluche. Il comprit que tout était fini pour lui, et retomba sur ses deux genoux en criant : merci, non pas aux hommes, mais à Dieu.

Dès le premier moment où la scène que nous venons de raconter, avait eu pour théâtre la grande rue Saint-Antoine, aucun de ces détails n’avait pu échapper ni à Tanneguy ni au dauphin. Celui-ci surtout, moins habitué à de semblables spectacles, y prenait un intérêt que trahissaient ses mouvemens convulsifs et les sons inarticulés de sa voix, de sorte que lorsque l’Armagnac tomba, Cappeluche n’avait pas été plus prompt à se précipiter sur sa victime, que le jeune homme à tirer une flèche de sa trousse, et à l’assujétir sur la corde de l’arc avec les deux doigts de la main droite. L’arc plia comme un roseau fragile, s’a-