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été celle dont vous êtes aujourd’hui l’unique espoir ; si vous saviez combien de fois je me suis demandé si les temps n’étaient pas venus où cette monarchie devait faire place à une autre, et si ce n’était pas une révolte envers Dieu, que d’essayer de la soutenir, quand lui paraissait l’abandonner ; car… que le Seigneur me pardonne si je blasphème, mais, depuis trente ans, chaque fois qu’il a jeté les yeux sur votre noble race, ce fut pour la frapper, et non pour la prendre en miséricorde. Oui, continua-t-il, on peut penser que c’est un signe fatal pour une dynastie quand son chef est malade de corps et d’esprit, comme l’est notre sire le roi ; on peut croire que toutes choses sont bouleversées, quand on voit le premier vassal d’une couronne frapper de la hache et de l’épée les branches de la tige royale, comme l’a fait le traître Jean à l’égard du noble duc d’Orléans, votre oncle ; on peut croire, enfin, que l’état est en perdition quand on voit deux nobles jeunes gens, comme les deux frères aînés de votre altesse, tomber, l’un après l’autre, de mort si subite et si singulière, que si l’on ne craignait d’offenser Dieu et les hommes, on dirait que l’un n’est pour rien dans cet événement, et que les autres y sont pour beaucoup ; – et quand, pour résister à la guerre étrangère, à la guerre civile, aux émeutes populaires, il ne reste qu’un faible jeune homme comme vous. — Oh ! monseigneur, monseigneur, le doute qui tant de fois a manqué me faire faillir le cœur est bien naturel, et vous me le pardonnerez.

Le dauphin se jeta à son cou.

— Tanneguy, tous les doutes sont permis à celui qui, comme toi, doute après avoir agi, à celui qui, comme toi, pense que Dieu, dans sa colère, frappe une dynastie jusqu’en son dernier héritier, et enlève le dernier héritier de cette dynastie à la colère de Dieu.

— Et je n’ai pas hésité, mon jeune maître, quand j’ai vu entrer les Bourguignons dans la ville. J’ai couru à vous comme une mère à son enfant ; car, qui pouvait vous sauver si ce n’était moi, pauvre jeune homme ? Ce n’était point le roi votre père ; la reine, de loin, n’en aurait pas eu le pouvoir, et de près (Dieu lui