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SCÈNES HISTORIQUES.

Cependant, par une nuit sombre, vers la fin du mois de juin, tandis que les sentinelles veillaient aux quatre coins de la Bastille, deux hommes montaient l’escalier étroit et tournant qui conduisait à sa plate-forme ; le premier qui parut sur la terrasse, était un homme de quarante-deux à quarante-cinq ans ; sa taille était colossale, et sa force tenait tout ce que promettait sa taille. Il était couvert d’une armure complète, quoique pour arme offensive, à côté de la place où manquait l’épée, son ceinturon ne supportât qu’un de ces poignards longs et aigus, qu’on appelait poignards de merci ; sa main gauche s’y appuyait par habitude, tandis que de la droite il tenait respectueusement un de ces bonnets de velours garnis de poils, que les chevaliers échangeaient, dans leurs momens de repos, contre leurs casques de bataille, qui, quelquefois, pesaient de 40 à 45 livres. Sa tête nue laissait donc voir, sous d’épais sourcils, des yeux bleus foncés ; un nez aquilin, un teint bruni par le soleil, donnaient à l’ensemble de cette physionomie un caractère d’austérité, qu’une barbe longue d’un pouce, taillée en rond, de longs cheveux noirs qui descendaient de chaque côté des joues, ne contribuaient nullement à adoucir.

À peine l’homme que nous venons d’esquisser, fut-il arrivé sur la plate-forme, que, se retournant, il étendit le bras vers l’ouverture à fleur de terre qui venait de lui livrer passage ; une main fine et potelée en sortit pour s’attacher à cette main forte et puissante, et aussitôt, à l’aide de ce point d’appui, un jeune homme de seize à dix-sept ans, tout de velours et de soie, à la tête blonde, au corps aminci, aux membres délicats, s’élança sur la terrasse, et s’appuyant sur le bras de son compagnon, comme si cette légère montée eût été une longue fatigue, parut chercher par habitude un siége sur lequel il pût se reposer. Mais voyant qu’on avait jugé cet ornement inutile sur la plate-forme d’une citadelle, il prit son parti, forma avec sa seconde main, qu’il attacha à la première, une espèce d’anneau, au moyen duquel il fit supporter au bras athlétique auquel il se suspendit plutôt qu’il ne s’appuya, la moitié au moins du poids que la nature avait destiné ses jambes à soutenir, et commença