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ROMANS PROVENÇAUX.

De telles guerres étaient de la poésie toute faite, dont l’expression la plus simple et la plus grossière devait atteindre et garder quelque chose. Qu’il y ait eu de très-bonne heure, dans le midi, des pièces de vers composées sur ces guerres, et dans la vue d’en retracer les principaux incidens, ce n’est pas une chose dont on puisse douter. Mais nous n’avons point ces pièces, nous n’en avons pas même d’échantillon, et l’on est embarrassé à s’en faire une idée.

À en juger par analogie avec ce que l’on sait de l’origine et des développemens de la poésie épique en d’autres temps et en d’autres pays, les pièces de vers dont il s’agit ne pouvaient être que des chants populaires, ayant chacun pour sujet, non une suite complexe d’événemens, mais un seul événement isolé, et destinés tous à être chantés dans les rues et sur les places, à des foules d’auditeurs rassemblés au hasard.

Ce sont ces chants qui, conservés par tradition, et successivement accrus de nouveaux accessoires de moins en moins historiques et de plus en plus merveilleux, devinrent peu à peu les épopées carlovingiennes du xiie siècle.

Et ce n’est pas seulement sur des raisons de vraisemblance générale que je me fonde pour attribuer cette origine à ces épopées. Il y a, à l’appui de cette opinion, des faits particuliers que j’ai cités en leur lieu, et qui, peu importans par eux-mêmes, n’en sont pas moins d’un grand intérêt, comme se rattachant à un fait général dans l’histoire de la poésie épique. J’ai fait voir, en parlant du fameux roman de Guillaume-au-court-Nez, que, dans l’état où nous l’avons, ce roman n’est qu’une dernière amplification faite vers la fin du xiiie siècle, d’un seul et même sujet, amplifié successivement plusieurs fois, et qui, dans l’origine, se réduisit à un petit nombre de chants populaires composés dans le midi, sur les lieux même qui furent le théâtre de la gloire et de la piété du héros.

Il n’est personne qui n’ait lu, ou n’ait entendu citer la fameuse chronique dite de Turpin. C’est une relation latine de la grande expédition de Charlemagne dans la vallée de l’Èbre, relation faussement attribuée à Turpin ou Tilpin, archevêque de Reims,