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le mensonge coule abondamment ; il y règne avec une éclatante effronterie ; sciemment l’écrivain est injuste, inique, sans pudeur et sans frein ; sa plume n’est plus qu’une arme furieuse avec laquelle il veut achever un adversaire abattu. Il envenime les plaies de la France, il les élargit, sans doute pour y faire entrer plus à l’aise cette main royale qui devait nous guérir de nos douleurs comme des écrouelles. Que de fois M. de Chateaubriand a dû gémir sur cette orgie du talent dont il a souillé ses œuvres pour des indignes et des ingrats ! Il est triste d’avoir calomnié le génie et la patrie, quand le génie abdiquait et quand la patrie était mourante.

Dès que commence la carrière politique du célèbre auteur avec le règne de Louis xviii, commence aussi pour lui une situation perplexe et compliquée, fertile en embarras et en contradictions. M. de Chateaubriand se propose une illustration nouvelle, il veut être homme politique comme écrivain et comme ministre ; il a devant les yeux Montesquieu, Fox et Pitt. Voilà son but : quel est son point de départ ? Il est l’espoir et l’orgueil des royalistes et des soutiens du passé ; ils le considèrent comme l’adversaire de la révolution française, comme le chantre et le fondateur dans l’esprit des peuples de la légitimité, comme l’instrument de leurs passions, comme le ministre de leurs intérêts ; ils le suivront s’il veut leur obéir. Mais le génie de M. de Chateaubriand le dispute aux préoccupations folles de son parti, il n’est qu’à moitié dans l’erreur ; en dépit de ses engagemens, des amitiés et des séductions qui l’entourent, il est attiré vers cette France jeune dont il attend la confirmation de sa gloire ; il n’est pas dans son humeur de se brouiller sans retour avec les grandeurs et les maximes de notre révolution ; il aimerait mieux, en y réfléchissant, être auprès de la postérité l’historien de Napoléon que son fléau littéraire ; et cet homme formé par la nature pour tout ce qui est grand et vrai, qui, placé dans une situation simple, pouvait être aussi utile à sa patrie qu’il avait été brillant, consumera quinze ans de sa vie, cette maturité précieuse qui sépare la jeunesse du tombeau, dans une suite d’avortemens et de mécomptes : trop libéral pour les royalistes, trop royaliste pour les libéraux, réputé impie par les gens d’église, raillé comme cagot par les phi-