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minarets appelaient les fidèles à la prière du matin, quand le pas d’un cheval retentit sur le pavé de la cour, et le Syrien, enveloppé dans son bournous, se présenta de nouveau aux regards du tchiaouch. Celui-ci transmit à l’étranger la réponse de son maître qui parut le contrarier vivement.

— Tchiaouch, prends cette autre bourse, elle est du double plus grosse que la première, et va dire à ton maître que je veux absolument qu’il me cède la possession de son palais. Offre-lui, en mon nom, deux millions de piastres que je lui paierai sur l’heure, et il y aura en outre vingt mille piastres pour toi, si le marché se conclut. Dans huit autres jours je reviendrai de nouveau.

Lorsque Zahed connut les paroles du Syrien, il conçut une jalousie mortelle contre cet homme qui était assez riche pour sacrifier une pareille somme à la satisfaction d’une fantaisie. Depuis ce jour, il ne dormit plus. La magnificence du Syrien était pour lui un poignard aigu qui, jour et nuit, lui perçait le cœur, son palais ne lui paraissait plus digne d’être habité. Ses belles tapisseries de Perse, ses beaux tissus de l’Inde, ses jardins si frais et si odorans ne lui semblaient plus que de vils amusemens, d’insignifians plaisirs, bons tout au plus pour distraire un planteur de coton ou un marchand de dromadaires. Il lui tardait que le Syrien se présentât de nouveau pour connaître enfin cet heureux mortel à qui l’or coûtait si peu. La veille du jour que l’étranger avait indiqué au tchiaouch, on vint avertir Zahed qu’une femme de condition, voilée, enfermée dans une magnifique litière, et suivie d’un nombre considérable d’esclaves, demandait à lui parler. Il revêtit ses plus riches habits, se fit arroser des plus exquis parfums, et descendit dans ses jardins où la dame l’attendait. La dame, voilée de ses yachmaks selon l’usage de l’Orient, et enveloppée d’un large manteau qui cachait les contours de ses formes, descendit de sa litière et vint s’asseoir en face de Zahed, sous l’ombrage odorant d’un bosquet de lauriers roses et de jasmins sauvages. Elle fit signe à sa suite de se retirer. Quand elle fut seule avec Zahed : — Très illustre effendi ! que Dieu et le prophète soient avec vous ! voilà bientôt un mois que je suis arrivée de Damas à Baghdad avec mon mari. Notre intention est d’abandonner la Syrie pour ce pays, et de nous y fixer avec notre famille, nos esclaves, nos serviteurs qui