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enfantait chaque jour tous ces prodiges. Les caravanes qui venaient de la Syrie ou du grand désert s’arrêtaient avec délices aux portes de ce palais magique ; elles oubliaient leurs fatigues en écoutant la voix des chanteurs et les mélodies des instrumens.

Zahed ou plutôt Mohammed-Ilderim-Tchélébi inventait chaque jour de nouveaux plaisirs. Les vins de Schiraz et de l’Archipel coulaient nuit et jour dans les coupes d’or de ses convives, et alternaient avec le scherbet parfumé d’essence de rose, de jasmin de Perse et de musc de Tartarie. Il respirait sur la bouche de ses belles esclaves des voluptés sans cesse renaissantes. Parmi ces belles filles demi-nues, aux cheveux noirs, aux seins plus fermes et plus roses que la chair savoureuse du melon d’eau, c’était à qui par ses grâces, par ses voluptueuses caresses, fixerait un instant l’amour du maître, amour muable et changeant comme le reflet d’une robe de moire. C’était à qui ferait le mieux valoir ses charmes, à qui peindrait le mieux ses sourcils et le bord de ses paupières avec le suc du noir surmé, à qui donnerait à ses ongles la plus brillante couleur de pourpre, comme jadis l’aurore aux doigts de rose, tradition de l’Olympe qui s’est perpétuée sur la terre d’Asie.

Mais l’ame de Zahed restait toujours sombre comme une nuée d’orage au milieu de ses belles esclaves ; au milieu du parfum de l’air et des fleurs, son œil cave démentait le sourire forcé de ses lèvres. Quelquefois couché entre des fleurs et des femmes, il revoyait dans son sommeil son lit de sable du Sahara, son bournous grossier, son fusil arabe luisant comme un éclair et tonnant comme la foudre. Il se réveillait en pleurant ; il cherchait au-dessus de sa tête le dôme étoilé du ciel que des lambris drapés d’or et de soie lui cachaient toujours. C’est que l’envie, cette passion qui ronge comme un cancer, n’est au fond qu’un désir creux et vide que l’homme ne peut jamais remplir ; c’est que l’envieux est ainsi fait que le bien qu’il n’a pas prend seul de la valeur à ses yeux. Toutes les richesses de Zahed lui étaient indifférentes depuis qu’il les possédait. Sa passion n’attendait pour s’enflammer de nouveau qu’une étincelle, c’est-à-dire un objet qui pût réveiller dans son ame un désir, un souhait oublié.

Un soir, tandis que Zahed se livrait à la joie avec ses amis sous les voûtes harmonieuses de son palais, un homme, enveloppé dans