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Lenk, le dévastateur de l’Asie, furent pour l’opulente Baghdad ce qu’avaient été pour Rome les barbares du Nord et Attila.

Plus de trésors, plus de commerce, plus d’arts, plus de luxe maintenant à Baghdad, qui semble une fée décrépite dormant au milieu des ruines de ses palais, sous la puissance d’un enchantement. C’est à peine, aujourd’hui, si quelques pierres, qu’on décore du nom de tombeau, vous rappellent le souvenir du kalife Haroun. On a bâti plusieurs centaines de villes avec les ruines de ces villes fameuses dont le cœur seul subsiste à présent, et qui ont semé de leurs membres mutilés un désert silencieux, peuplé de bitume et de roseaux. La seule végétation distingue ce désert de ceux de l’Arabie. Des dattiers aux têtes chevelues, quelques napcas, des salsolas au feuillage sombre, des pallasias qui conservent toute leur fraîcheur, malgré les brûlures du soleil, varient quelque peu la vue monotone de ces larges nappes de terre blanche et grise, partout imprégnée de sel, où le bitume coule à fleur de terre.

Il faut voir la nuit, avec ses clartés blafardes et ses terreurs, se lever sur ces campagnes maudites. Il faut entendre les rauques mugissemens de l’Euphrate et du Tigre, les seuls habitans de cette contrée farouche. L’Euphrate et le Tigre sont deux enfans des montagnes qui semblent se disputer le pays qu’ils parcourent. L’Euphrate roule des sommets de l’Abi-Dagh, près de Bayésid, dans l’Asie-Mineure. Il boit en passant la petite rivière de Mourad-Siaï et le Lycus, et se précipite en cataracte écumante à quelques lieues de Samosat. Puis, le voilà qui se calme, le voilà qui coule à pleins bords dans les plaines immenses de Sennar, comme le sultan de ce plateau désert, où sa voix seule commande et retentit. Mais bientôt il serpente, il frémit, il tourbillonne ; c’est qu’il vient d’apercevoir son rival, le fleuve Tigre, le seul de tous les fleuves de ces montagnes qui n’ait pas été perdre ses flots dans le lit de l’Euphrate. Échappé des rochers du Diarbékir, le Tigre, ce feudataire rebelle, bondit sur le revers de cette chaîne de rochers, renversant tout sur son passage. Il traverse comme une flèche la ville de Djesiré ; il baigne en passant l’opulente Mossoul et les ruines de l’antique Ninive. Il reçoit le tribut de toutes les rivières du Courdistan. Il traverse majestueusement Baghdad,