Page:Revue des Deux Mondes - 1832 - tome 8.djvu/198

Cette page a été validée par deux contributeurs.
192
REVUE DES DEUX MONDES.

vençal ; tout cela est une peinture de la chevalerie à son plus haut point d’exaltation et de développement.

L’épopée chevaleresque provençale se divisa donc, dès le milieu du xiie siècle, en deux branches parfaitement distinctes l’une de l’autre par la forme, par le caractère poétique, par la destination, aussi bien que par le sujet. L’une fut l’épopée carlovingienne, nationale, populaire, austère et rude, développement spontané d’anciens chants historiques sur les guerres du pays contre les Maures. L’autre fut l’épopée de la Table ronde, toute d’un jet, toute d’invention, sentimentale, raffinée, principalement faite pour les hautes classes de la société. — Ces deux branches d’épopée formaient le complément naturel et nécessaire de la poésie lyrique des troubadours. Elles étaient, conjointement avec celle-ci, l’expression poétique de la civilisation provençale.

Lorsqu’à dater de la seconde moitié du xiie siècle, de 1160 à 1200, la poésie provençale pénétra dans les diverses contrées de l’Europe, pour donner, dans chacune, le ton à la poésie locale, elle y pénétra toute entière, avec ses développemens épiques comme avec ses développemens lyriques : il n’y a pas moyen de concevoir une division, une exclusion à cet égard. Il y a plus : les genres épiques provençaux durent être et furent, à tout prendre, ceux qui eurent le plus d’influence et de popularité à l’étranger. Partout où ils se trouvèrent en contact avec une épopée, ou avec des traditions épiques indigènes, ils les modifièrent. — Partout où ils ne trouvèrent point d’épopée nationale préexistante, ils en tinrent lieu.

Or, de tous les pays où fut accueillie la poésie provençale, la France était indubitablement celui où elle avait le plus de chances d’un succès complet. Le voisinage, les relations politiques, l’affinité des idiomes, les souvenirs et les effets persistans de l’ancienne unité gauloise, tout cela facilitait en France l’adoption, et l’adoption aussi entière que possible, du système poétique du midi. De toutes les raisons qui y firent recevoir dans son intégrité la poésie lyrique des troubadours, il n’y en avait pas une qui ne dût faire adopter aussi leur épopée. Tout ce qui se passa relativement à la première, dut se passer et se passa indubitablement