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L’ancienne poésie provençale ne fut point une poésie complète : elle ne connut point les formes dramatiques, ou n’en connut que les traits les plus grossiers, qu’elle n’essaya pas même de perfectionner.

Quant aux formes lyriques, c’est un fait généralement convenu qu’elle les eut très-développées et très-variées.

Je viens de prouver, je crois du moins de bonne foi avoir prouvé, qu’elle ne fut guère moins riche en compositions du genre épique.

De ces compositions épiques, les plus anciennes remontent aux commencemens du ixe siècle, et furent, suivant toute apparence, en latin barbare. Dès le xe siècle, il y en eut en roman méridional ou provençal. Elles roulèrent principalement sur les guerres des Aquitains avec les Sarrasins, et ne furent généralement que des espèces de chants populaires, simples, grossiers et peu développés.

De la fin du xie siècle au milieu du xiie, il se fit, dans la poésie provençale, une révolution de tout point correspondante à celle qui s’opéra, durant le même intervalle, dans les hautes classes de la société, par suite des institutions de la chevalerie. Cette poésie devint l’expression raffinée, délicate, exaltée, mélodieuse de l’amour chevaleresque ; ce fut une poésie toute nouvelle, une poésie de cours et de châteaux, qui n’eut plus rien de commun avec la poésie de l’époque antérieure. Celle-ci resta ce qu’elle avait toujours été, celle des places publiques, celle du peuple, expression franche, libre et grossière des sentimens naturels d’une époque de semi-barbarie, tempérée par des réminiscences de l’antique civilisation gréco-romaine.

Toutefois, la poésie nouvelle réagit sur l’ancienne, et plusieurs des genres de celle-ci participèrent plus ou moins aux raffinemens de la première. Les chants historiques, les fictions héroïques, les histoires romanesques sur les guerres des Sarrasins, qui faisaient un de ces genres, et l’un des principaux, furent un peu plus développés, un peu plus ornés : on y mit un peu plus d’amour et de merveilleux. Mais ces modifications n’allèrent point jusqu’à changer le caractère primitif de ces vieilles compo-