Page:Revue des Deux Mondes - 1832 - tome 8.djvu/194

Cette page a été validée par deux contributeurs.
188
REVUE DES DEUX MONDES.

prendre pour base, ou s’en aider de quelque façon pour la composition du sien. — Il ne le fit pas, et il nous en a dit lui-même la raison. C’est qu’il connaissait un Perceval antérieur à celui de Chrétien, et dont Chrétien avait fait usage, mais très-librement, conservant certaines parties, en refaisant ou en modifiant beaucoup d’autres. — Wolfram nous apprend que ce Perceval original, ainsi altéré par Chrétien de Troyes, était l’œuvre d’un romancier provençal, qu’il désigne par le nom de Kyot ou Guyot, nom inconnu parmi ceux des troubadours. — Il réprimande sévèrement Chrétien de tous les changemens qu’il s’est permis de faire à son modèle, prétendant qu’il a par-là gâté toute l’histoire originale, et déclare hautement l’intention où il est, mettant cette histoire en allemand ou en teuton, comme il dit, de suivre exactement le rédacteur provençal, de préférence au français.

Il n’y a plus lieu, après un témoignage si exprès, si positif, de la part d’un juge ou d’un témoin si compétent, de révoquer en doute l’origine provençale de la fable du Graal. — Peut-être néanmoins ce témoignage ne s’applique-t-il qu’à la portion de cette fable contenue dans le Perceval, et non à celle contenue dans le Titurel. — C’est ce que je n’ai pu vérifier, ne connaissant ce dernier roman, encore inédit, que par des extraits insuffisans. Mais une réflexion bien simple suffit pour démontrer que le Titurel peut bien être d’un autre auteur que le Perceval, mais doit être de même provençal. Cette réflexion, c’est que le Perceval n’est que la suite, le complément du Titurel ; c’est que les deux romans ne forment ensemble qu’un seul et même tableau d’un seul et même sujet, que le premier renferme toutes les données du second. Or, ce second étant provençal, il faut de toute nécessité que le premier le soit aussi.

Il y a plus : les vestiges, les indices intrinsèques d’une origine provençale, sont plus marqués et plus nombreux encore dans le Titurel que dans le Perceval, et, s’il y avait lieu à disputer l’un des deux aux Provençaux, ce serait plutôt celui-ci que le premier.

Mais, si l’on met de côté les subtilités et les subterfuges, et si l’on a égard à l’excessive difficulté qu’il y a de constater avec une