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POÈTES CONTEMPORAINS.

ait revêtu une pensée de poète, est d’un symbole constant, partout lucide et immédiatement perceptible[1]

Alphonse de Lamartine doit être né à Macon, tout à la fin de 90 ou au commencement de 91 : on était en pleine révolution. Son grand-père avait exercé autrefois une charge dans la maison d’Orléans, et s’était ensuite retiré en province. La révolution frappa sa famille comme toutes celles qui tenaient à l’ordre ancien par leur naissance et leurs opinions : les plus reculés souvenirs de Lamartine le reportent à la maison d’arrêt où on le menait visiter son père. Au sortir de la terreur, et pour traverser les années encore difficiles qui suivirent, ses parens vécurent confinés dans cette terre obscure de Milly, que le poète a si pieusement illustrée, comme M. de Chateaubriand a fait pour Combourg, comme Victor Hugo pour les Feuillantines. Il passa là, avec ses sœurs, une longue et innocente enfance, libre, rustique, errant à la manière du ménestrel de Beattie, formé pourtant à l’excellence morale et à cette perfection de cœur qui le caractérise, par les soins d’une admirable mère, dont il est, assure-t-on, toute l’image. Il ne laissa cette vie domestique que pour aller à Belley,

  1. Dans un article inséré au Globe, le 20 juin 1830, lors de la publication des Harmonies, on lit : «… M. de Lamartine, par cela même qu’il range humblement sa poésie aux vérités de la tradition, qu’il voit et juge le monde et la vie suivant qu’on nous a appris dès l’enfance à les juger et à les voir, répond merveilleusement à la pensée de tous ceux qui ont gardé ces premières impressions, ou qui, les ayant rejetées plus tard, s’en souviennent encore avec un regret mêlé d’attendrissement. Il se trompe lorsqu’il dit en sa préface que ses vers ne s’adressent qu’à un petit nombre. De toutes les poésies de nos jours, aucune n’est autant que la sienne, selon le cœur des femmes, des jeunes filles, des hommes accessibles aux émotions pieuses et tendres. Sa morale est celle que nous savons : il nous répète avec un charme nouveau ce qu’on nous a dit mille fois, nous fait repasser avec de douces larmes ce que nous avons senti, et l’on est tout surpris en l’écoutant de s’entendre soi-même chanter ou gémir par la voix sublime d’un poète. C’est une aimable beauté de cœur et de génie qui nous ravit et nous touche par toutes les images connues, par tous les sentimens éprouvés, par toutes les vérités lumineuses et éternelles. Cette manière de comprendre les diverses heures du jour, l’aube, le matin, le crépuscule, d’interpréter la couleur des nuages, le murmure des eaux, le bruissement