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ROMANS PROVENÇAUX.

historiques des Bretons insulaires, ni même de ceux de la Gaule.

Cette observation, je ne le dissimule point, est une difficulté à résoudre dans l’histoire de l’épopée provençale. Mais ce n’est point une difficulté insoluble, ni même aussi grave qu’elle peut le paraître au premier coup-d’œil. J’essaierai d’abord de constater les faits, sans égard au plus ou moins de facilité qu’il peut y avoir de les expliquer. La raison en fût-elle encore plus obscure, il faudra bien les admettre, s’ils sont prouvés.

J’ai divisé les romans épiques de la Table ronde en deux classes : la première, de ceux qui n’ont aucun rapport à l’histoire du saint Graal ; la seconde, de ceux qui roulent sur cette histoire. — Je suivrai cette division dans l’examen où je vais entrer de la part qu’eurent les Provençaux à la composition des épopées de la Table ronde, en commençant par celles de ces épopées qui ne se rapportent point au saint Graal, et sont, selon toute apparence, les plus anciennes de tout le cycle.

Pour préciser, autant que possible, l’objet de cette discussion, je la bornerai d’abord à un point unique et spécial ; je la bornerai à l’histoire d’un seul des romans de la Table ronde, mais du plus célèbre de tous, et de l’un des plus anciens. Le résultat de cette discussion particulière m’abrégera et me facilitera la recherche d’un résultat plus général.

Le roman dont je veux parler est celui de Tristan. Il n’est pas aisé aujourd’hui de se faire une idée du succès et de la renommée de cet ouvrage à l’époque de son apparition, et durant tout le reste du moyen âge. — Il pénétra dans toutes les contrées de l’Europe sans en excepter la Scandinavie et l’Islande : dans toutes, il fut traduit, imité ou refait ; dans toutes, il fit les délices de toutes les classes, mais particulièrement des plus élevées ; dans toutes, enfin, il fut pour les masses une source de chants populaires. On ne citerait pas, depuis ce que l’on nomme la renaissance des lettres, une composition poétique qui ait eu la même fortune.

Indépendamment des pures et simples traductions de l’histoire de Tristan, il y en a différentes versions, diverses rédactions qui