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POÈTES CONTEMPORAINS.

Que par le seul tableau des choses de la terre ;
Quelques traits copiés de l’ordre élémentaire,
Les erreurs des mortels, leurs fausses passions,
Les récits du passé, quelques prédictions
Que vous ne recevez que de votre mémoire,
Et qu’il vous faut suspendre où s’arrête l’histoire ;
Voilà tous vos moyens, voilà tous les trésors
Dont vous fassent jouir vos plus ardens efforts !

Par malheur, Saint-Martin lui-même, ce réservoir immense d’onction et d’amour, n’avait qu’un instrument incomplet pour se répandre ; le peu de poésie qu’il a essayée, et dont nous venons de donner un échantillon, est à peine tolérable ; bien plus, il n’eut jamais l’intention d’être pleinement compris. Lié à des doctrines occultes, s’environnant d’obscurités volontaires, tourné en dedans et en haut, il n’est là, en quelque sorte, que pour perpétuer la tradition spiritualiste dans une vivacité sans mélange, pour protester devant Dieu par sa présence inaperçue, pour prier angéliquement derrière la montagne durant la victoire passagère des géans. J’ignore s’il a gagné aux voies trop détournées où il s’est tenu, beaucoup d’ames de mystère ; mais il n’a en rien touché le grand nombre des ames accessibles d’ailleurs aux belles et bonnes paroles et dignes de consolation. Il faut, en effet, pour arriver à elles, pour prétendre à les ravir et à être nommé d’elles leur bienfaiteur, joindre à un fond aussi précieux, aussi excellent que celui de l’Homme de désir, une expression peinte aux yeux sans énigme, la forme à la fois intelligente et enchanteresse, la beauté rayonnante, idéale, mais suffisamment humaine, l’image simple et parlante comme l’employaient Virgile et Fénelon, de ces images dont la nature est semée, et qui répondent à nos secrètes empreintes ; il faut être un homme du milieu de ce monde, avoir peut-être moins purement vécu que le théosophe, sans que pourtant le sentiment du Saint se soit jamais affaibli au cœur ; il faut enfin croire en soi et oser, ne pas être humble de l’humilité contrite des solitaires, et aimer un peu la gloire comme l’aimaient ces poètes chrétiens qu’on couronnait au Capitole.

Rousseau, disions-nous, avait eu de grandes parties d’inspiration ; il avait prêté un admirable langage à une foule de mou-