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au milieu d’eux le capucin. C’était par pur hasard qu’on l’avait rencontré, car l’alcade, tout en étant bien loin de soupçonner les desseins d’Hospina, était fermement résolu à ne pas découvrir la retraite du révérend père, dès que celui-ci croyait avoir intérêt à la tenir cachée. Prévoyant donc que de nouvelles représentations ne seraient point écoutées, et sentant que toute résistance ouverte serait folie, il s’était borné à garder un silence absolu, et depuis l’instant du départ, ni les menaces ni les coups n’avaient pu lui arracher le moindre renseignement. Pour le moine, il savait fort bien que les républicains ne lui faisaient aucun tort en le considérant comme un ennemi, et d’ordinaire il se tenait sur ses gardes ; mais il n’imaginait pas qu’on osât mettre la main sur lui un dimanche, et ce fut ce qui le perdit. On le saisit lorsqu’il se rendait à l’église où il devait prêcher un beau sermon contre les insurgés et leurs alliés, les hérétiques anglais.

Hospina avait été fort impatient de voir arriver le capucin, mais depuis ce moment il eût donné beaucoup pour que les soldats ne l’eussent pas rencontré. Il se sentait à chaque instant plus irrésolu, et déjà il songeait à envoyer directement à Bolivar le prisonnier, lorsque celui-ci, sautant en bas de sa monture, comme eût pu le faire un cavalier de profession, et s’avançant à pas précipités, lui demanda sans autre préambule depuis quand les religieux de St.-François relevaient de l’autorité militaire ?

— Il n’y a qu’un bandit comme toi, ajouta-t-il en s’échauffant, qui soit capable de troubler un prêtre dans l’exercice de son saint ministère ; mais sois certain que j’en écrirai à tes chefs, et que je te ferai casser ignominieusement.

— Pour ce qui est de mes chefs, repartit Hospina à qui le ton altier du moine avait déjà rendu sa première résolution, pour ce qui est de mes chefs, je suis tranquille, et je n’ai agi que sur l’ordre exprès du libérateur.

— Le libérateur, le libérateur ! dis le libertin, l’athée. Ce sont là les titres qui conviennent à un homme traître à son roi comme à son Dieu. Mais il n’en a pas pour long-temps encore à fouler les honnêtes gens, et cette fois-ci il ne s’enfuira pas comme il a fait tant d’autres. Il sera pendu, lui et tous les brigands qui l’entourent.

— Ce ne sera pas toi qui vivras pour le voir, moinaillon du diable,