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MŒURS DES AMÉRICAINS.

et l’on nous apprit que c’était le signal qui rappelait le troupeau des fidèles autour de l’estrade. En effet, nous le vîmes sortir des tentes et accourir de tous les côtés. Nous réussîmes ma compagne et moi à nous placer au pied même de l’estrade, le dos appuyé contre les pièces de bois qui la soutenaient. Nous étions en bonne position pour bien voir la scène qui allait suivre. Environ deux mille personnes composaient l’assistance.

« Un des prédicateurs commença d’une voix basse et nazillarde. Il débuta, selon l’usage des méthodistes, par s’étendre sur la dépravation profonde de l’homme quand il sort des mains du créateur, et sur sa parfaite sanctification quand il a assez long-temps et assez vigoureusement lutté avec le Seigneur pour s’emparer de lui, etc., etc. Les cris amen ! amen ! Jésus ! Jésus ! gloire ! gloire ! exprimaient à chaque instant l’admiration de l’auditoire. Mais cette tranquillité comparative ne fut pas de longue durée. Bientôt le prédicateur, poursuivant son discours, leur apprit que le temps était venu pour les pécheurs inquiets de lutter avec le Seigneur ; que cette lutte devait avoir lieu cette nuit même ; que lui et ses frères étaient là pour les aider, et qu’il fallait que ceux qui avaient besoin de leur secours s’avançassent dans le pen. Le pen était l’espace qui s’étendait au pied même de l’estrade ; nous pûmes donc voir et entendre jusques aux moindres détails de cette scène étrange.

« Au mot de pen, la masse d’auditeurs qui était devant nous, recula, de manière à laisser un espace libre au pied de l’estrade. Les prédicateurs descendirent et vinrent se placer au milieu de cet espace, chantant un hymne, et appelant à eux les pécheurs. Tout en chantant, ils parcouraient le cercle qui les entourait, et par degrés les voix de cette multitude se marièrent à la leur. Ce fut le seul moment où cette scène religieuse me présenta quelque chose de cette beauté solennelle qu’on m’avait annoncée. Cette multitude de voix s’élevant harmonieusement au milieu de la nuit et du sein de ces éternelles forêts ; ces visages de jeunes femmes, rendus plus pâles et plus beaux par les rayons de la lune ; ces sombres figures des prêtres s’agitant au milieu du cercle, et ces obscures clartés jetées dans les profondeurs de la forêt