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REVUE DES DEUX MONDES.

Il entendit ou crut entendre un coup de canon dans le lointain.

On se bat ! s’écria-t-il, et il renversa deux domestiques et tout le café, et toute la liqueur.

— Sacredieu, monsieur le commissaire, voilà deux heures que je suis en panne dans votre antichambre, et depuis deux heures, vous êtes averti que le contrebandier anglais croise devant la ville, et que je vous demande une lettre de marque.

Tous les convives furent interdits.

Gravement et en filtrant un verre de champagne, le commissaire lui dit : — Personne n’a besoin de me prescrire mon devoir. — Sortez !

— Oui, je sortirai, mais je vous aurai dit votre fait. Est-ce en mangeant des poulets et en buvant du rhum, que vous donnerez chasse aux contrebandiers ? — Je dirai à toute la ville, à tous les gens du port, que vous m’avez refusé un mauvais chiffon de papier, qui me donnât droit de battre les ennemis de mon pays. Il y a quelqu’un ici qui trahit le gouvernement, et ce n’est pas moi ! — Il y a quelqu’un ici qui connaît le rocher où l’on descend à minuit la contrebande !…

— Assez !

Le regard sauvage et accusateur du corsaire qui frappait au hasard et partout, tomba sur la jeune fille du commissaire de la marine : il s’amortit. Il s’y fixa avec un étrange étonnement et qui suspendit sa colère : il se calma. On eût dit un tison qui tombe dans l’eau.

— À la santé de mon empereur, s’écria-t-il en saisissant un verre à portée, et à la gloire du blocus continental !

La singulière diversion que la vue de cette jeune personne avait opérée sur Scipion, permit à un jeune aspirant de se lever, et d’engager Scipion à se retirer avec décence.

— C’est vous, monsieur Auguste, lui dit-il ; c’est vous ?

— Oui, mon vieux Scipion.

— Ah ! monsieur Auguste, si vous m’avez quelque reconnaissance pour vous avoir appris à faire de la tresse et à prendre un ris, obtenez-moi une barque, une chaloupe, un radeau.