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UN ÉPISODE DU BLOCUS CONTINENTAL.

avoir connaissance de la présence du contrebandier ; qu’après le dîner, on donnerait des ordres en conséquence.

— Retournez encore, cria le vieux Scipion, et dites que je ne suis pas venu donner un avis, mais chercher une lettre de marque ; que je veux sur-le-champ une lettre de marque, entendez-vous ?

Scipion fut prié d’attendre.

— À la bonne heure : il s’assit.

Une demi-heure se passa ; le domestique ne venait pas le délivrer ; il rongeait le frein.

— En ce moment, pensait-il, le contrebandier double la pointe du fort : avec le vent qui règne, deux bordées suffiraient pour lui couper la retraite. Mais il faut se hâter !

On passa le rôti.

C’était le second service : il dura une demi-heure.

— La nuit se fait, ajouta Scipion, le vent va tomber ; il serait surpris par le calme, on le prendrait avec la main. Dans une heure, il sera trop tard : il profitera de l’obscurité pour jeter sa contrebande à terre ou pour s’évader. Vent et marée ! Ils m’ont encloué ici comme une vieille pièce de rebut ! — Aurez-vous bientôt fini là-bas ? —

Il vit circuler le dessert.

Alors il n’y tint plus de rage. Certainement, on aurait entendu ses exclamations de la pièce voisine, si on avait pu entendre quelque chose. Le bruit des verres, des rires et de la conversation étouffait tout.

— Aimez votre pays, jurait-il, lorsque des beaux messieurs sont à manger et à boire, tandis que l’Anglais viole le blocus. Mais la nuit va se faire, et ils boivent encore. — Je n’ai pas mangé, moi, pourtant, depuis que j’ai vu ce chien de contrebandier. Je n’ai qu’un cigarre sur le cœur.

Il tournait déjà la clef dans la serrure pour forcer l’entrée du salon.

Les domestiques passèrent le café et la liqueur sur des plateaux.

D’autres suivaient avec des bougies.