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LETTRES PHILOSOPHIQUES.

individuelle. La religion appartient à l’ordre de foi, la science à l’ordre de conception. D’abord l’écrivain catholique emprunte ici quelque chose au protestantisme : il sait mieux que nous qu’au moyen âge, l’église aspirait à dominer l’intelligence comme la foi, la science comme le dogme : il connaît les persécutions suscitées, les combats livrés pour rester en possession de toute la société et de tout l’homme ; mais, quand la science laïque eut vaincu, peu-à-peu l’église se retrancha dans la foi, le protestantisme déclara la scission, et c’est converger à lui que de l’accepter. Au surplus, cette séparation est ou un fait réel, ou une hypothèse idéale : mais, à coup sûr, elle n’est pas une solution rationnelle ; car, enfin, poser en aspect la raison et la foi, ne les concilie pas, ou plutôt c’est se mettre dans la nécessité de confesser que la raison empiète de plus en plus sur le domaine de la foi. Au terme de cette usurpation triomphante, que deviendrait alors la religion, si elle n’était qu’une croyance bornée ou un sentiment ardent ; mais elle est aussi, et, dans ce siècle, elle est surtout une idée, un rayon de l’intelligence, un jet de l’esprit, un fruit de la raison ; elle est immortelle, car elle est vraie ; elle est humaine, car elle est divine ; elle n’a rien à craindre des révolutions et des progrès de l’esprit et des sociétés, et c’est à la philosophie à la sauver, en la retirant des mains impuissantes d’une théologie qui aujourd’hui croit reverdir, parce qu’elle emploie quelque peu de raison à nier la raison.

Si vous me demandez, monsieur, dans quelle estime je tiens M. de la Mennais, comme philosophe, je crois que, malgré ses efforts, il a laissé le catholicisme au même point qu’à la mort de Bossuet : après une laborieuse tentative, il est retombé sur lui-même ; il n’a triomphé ni de Descartes ni de la raison, mais il a fait d’ingénieuses variantes sur le thème déjà commenté par Pascal ; mais il a étonné, même il a séduit, grâce à un splendide talent. M. de la Mennais est un des premiers écrivains de notre siècle ; nul n’a la plume plus ferme, plus nette, plus claire, plus acérée, plus éloquemment injurieuse : il expose avec lucidité, il réfute avec emportement, il insulte avec des ressources infinies ; son génie l’appelle à toute heure dans le champ