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naturelle de l’humanité. Sous les variétés et les imaginations du polythéisme, était déposée, au fond, l’unité de Dieu. Ses mystères en étaient le témoignage toujours présent et toujours caché. Mais est-il vrai que le polythéisme n’avait ni doctrine ni loi morale ? Je le nie : c’est une tournure d’esprit et une habileté de discours familière dans tous les temps aux apologistes du christianisme, depuis Saint-Augustin jusqu’à M. de la Mennais, de rabaisser l’antiquité. Mais sortons de ces passions de circonstances pour nous élever à la vraie justice de l’histoire, et nous verrons les sociétés païennes riches et fortes par leurs doctrines, leurs lois et leurs vertus, héroïques, épanouies, brillantes. Là l’humanité se développait avec vigueur et beauté ; elle composait, pour ainsi dire, un groupe harmonieux et magnifique, dont l’œil ne saurait se détacher : l’antiquité est la sculpture de l’histoire. Là, dès que l’homme était reconnu grand, rien ne le contraignait à descendre. Il s’appuyait sur des qualités tellement sensibles et puissantes, qu’elles le soutenaient contre tout, même contre les mauvaises parties de lui-même. Le mérite du paganisme est d’avoir chez l’homme exalté la force. Nous aurions besoin aujourd’hui de quelques vertus antiques et païennes, et, dans la refonte qui se prépare des opinions, des idées et des mœurs de l’humanité, les côtés vrais de notre nature qu’avait fortifiés la civilisation antique, et que le christianisme avait trop éclipsés, reparaîtront pour contribuer à la matière première et aux élémens d’une nouvelle humanité. Il est donc inique de représenter les sociétés comme déchues et ravalées sous l’empire du polythéisme. Le christianisme a servi l’humanité, mais il ne la constitue pas. Avant sa venue, le monde vivait : il n’a pas commencé l’histoire, pas plus qu’il ne la consommera.

Qui donc comprend et honore le mieux le christianisme, celui qui le relègue dans une croyance immobile, ou celui qui le considère comme un développement naturel et raisonnable de l’humanité ? M. de la Mennais a essayé un système des connaissances humaines, où il les partage en deux ordres, ordre de foi, ordre de conception ; il fait de l’ordre de foi le propre de l’autorité générale, de l’ordre de conception le propre de la raison