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LETTRES PHILOSOPHIQUES.

charmes et tous les attraits de son enfance : aussi l’Allemagne fut ardemment religieuse, et quand plus tard, dans son sein, l’esprit philosophique se manifesta, loin de combattre la réforme, il n’eut qu’à en continuer les progrès. Et pourquoi se serait-il déclaré l’ennemi du christianisme, quand le christianisme s’était montré humain, perfectible ? Pourquoi aurait-il eu des paroles de haine pour l’Évangile, ce livre d’amour, de passion et de charité, quand l’Évangile avait été enseigné avec bon sens, et fertilisé par des commentaires pleins de raison et de science ? Aussi en Allemagne, monsieur, le christianisme et la philosophie ne nourrirent pas d’inimitié l’un pour l’autre : je ne parle pas de quelques aventures particulières. Mais en France il n’en alla pas de même : la réforme ne fut embrassée que par une minorité probe et sincère ; Calvin, si bien compris par Rousseau, et dont il serait beau d’écrire dignement l’histoire, put dominer à Genève, balancer Rome, mais non prévaloir à Paris : des persécutions toujours renaissantes, une injurieuse tolérance qui s’interrompait tout-à-coup pour faire place aux supplices et aux assassinats, quand le fanatisme en trouvait l’audace et le pouvoir : voilà tout ce qu’en France pendant long-temps obtint le protestantisme.

Cependant le catholicisme gallican, au dix-huitième siècle, entièrement débordé par le flot de l’esprit humain, divisé par les querelles expirantes des jansénistes et des jésuites, ne servait plus que des intérêts et non pas des croyances. La science et l’évangélique religion étaient bien la moindre affaire de ce clergé que la mort de Massillon laissa sans nom brillant jusqu’à nos jours. Les plus dévots se repaissaient encore des subtilités et des haines qui avaient exaspéré Arnaud et Daniel ; c’est même une comique coïncidence que de voir le gallicanisme, pendant les progrès et l’élévation de la philosophie, consumer avec incurie son reste de force dans des inimitiés intestines et ridicules, ennuyer le régent et Louis xv, se déconsidérer ; quelle appréciation du siècle que de continuer les dissensions de Jansénius et de Molinos ! Les jansénistes surtout se montrèrent les plus obstinés : elle n’entendit à rien, cette secte prude, étroite,