Page:Revue des Deux Mondes - 1832 - tome 7.djvu/731

Cette page a été validée par deux contributeurs.
731
LETTRES PHILOSOPHIQUES.

toujours en haleine, en fatigue ; toujours lutter, toujours répondre, se voir condamné à des changemens continuels qui s’appellent insolemment des progrès nécessaires, voilà qui est intolérable ; voilà ce qu’il faut prévenir d’un seul coup. Or, écoutez monsieur, le moyen de défense employé contre ce qui est nouveau ; il est admirable, il est simple, il est infaillible ; voici la sentence : tout ce qui est nouveau est faux ; la nouveauté et l’erreur sont même chose. Et ne croyez pas que j’imagine ou que j’exagère : quand Bossuet peint à grands traits les changemens de la religion en Angleterre, ne dit-il pas : « L’erreur et la nouveauté se faisaient entendre dans toutes les chaires ; et la doctrine ancienne, qui, selon l’oracle de l’Évangile, doit être prêchée jusque sur les toits, pouvait à peine parler à l’oreille ?[1] » Voyez-vous, monsieur, l’erreur et la nouveauté confondues, l’antiquité et la vérité identifiées. Et chez l’illustre catholique ce n’est pas une idée passagère, mais un principe constant : si au seizième siècle la réforme est erronée, c’est surtout parce qu’elle est nouvelle ; si Luther, Zwingle, OEcolampade, Melancthon, Calvin, sont condamnables, c’est comme novateurs ; ils ont trouvé l’erreur dans la rupture avec l’antiquité. J’aime ce parti ; il est commode et décisif : la règle est uniforme, et peut être appliquée par tous, par les insuffisans comme par les habiles.

Cependant ce refuge dans l’immobilité n’a pas su prévenir pour le monde les révolutions : on peut se mettre soi-même hors des voies de la gravitation morale, mais une fois dans l’ornière, on y reste seul, on y meurt. Le catholicisme a-t-il suivi l’esprit humain, après l’avoir servi au moyen âge ? Non, il s’est jeté de côté, puis il a réprouvé, maudit le spectacle auquel il a été condamné ; il a vu passer devant lui Galilée tout meurtri de ses fers, Copernic, contemporain de Luther, et portant dans les cieux le génie révolutionnaire, Keppler appuyant sur la certitude géométrique les divinations de Copernic, la réforme tout entière avec ses doctrines et ses novateurs, la science humaine pleine de vigueur et de fierté, la philosophie prenant possession

  1. Oraison funèbre de Henriette de France.